Histoire du Japon
restés neutres ou qui s’étaient ralliés à lui après Sekigahara, Ieyasu ne faisait guère confiance. Il les traitait avec respect, mais il les surveillait étroitement et ne leur donnait guère l’occasion de conspirer contre le bakufu. Il leur confiait souvent des tâches qui les obligeaient à de grandes dépenses, comme de leur accorder le privilège empoisonné de construire ou de réparer une citadelle dans le prétendu intérêt de la nation. Parmi ceux qui durent s’acquitter de telles charges durant la décennie suivant Sekigahara figuraient Katô, Asano, Kuroda, Ikeda, Nabeshima, Hosokawa et Shimazu, tous requis de fournir des hommes et du matériel pour les forteresses qui devaient protéger les points stratégiques situés entre Fushimi et Edo. Pour ces services, il arrivait que Ieyasu leur accordât une modeste rétribution en or, cela par gentillesse et non pas en guise de remboursement 204 .
Ieyasu prit toutes les précautions possibles afin d’empêcher les alliances et accords entre tozama, imposant des limites aux dimensions de leurs châteaux et à la capacité des navires de transport utilisés par les barons des provinces côtières. Partout où il le put, il réduisit leur liberté de mouvement en plaçant dans des fiefs voisins des vassaux fudai. Ainsi, pour prévenir l’expansion des puissants barons des provinces du Nord – des hommes comme Date, Gamô, Mogami, Uesugi et Satake –, il plaça des vassaux fudai à Mito, Utsunomiya et autres points clés du Kantô septentrional, empêchant par là la formation d’une éventuelle ligue entre Date et ses voisins. Dans le cadre de cette politique de surveillance, les daimyô fudai étaient déplacés si souvent qu’ils se plaignaient aigrement de leur transplantation d’une province à l’autre, ce que l’on appelait le « kunigae ».
Bien qu’il s’occupât sans relâche des affaires civiles, Ieyasu ne chercha pas à organiser un système de gouvernement cohérent. Il traitait les problèmes à mesure qu’ils se posaient, et ses méthodes avaient un parfum militaire. Il était décidé à §e faire obéir, et avait l’habitude de donner des ordres directs plutôt que de gouverner par législation. Il est vrai qu’il publia un code destiné à guider le comportement de la classe militaire, mais à la fin de sa carrière seulement. C’était un ensemble de règles connu sous le nom de Buke shohatto, ou « Ordonnances à l’intention des maisons militaires », qui fut présenté avec un commentaire oral à une assemblée de vassaux au château de Fushimi en août 1615. Il avait été compilé à la demande de Ieyasu par un groupe d’érudits à la fois religieux et laïcs ; et ses clauses principales avaient pour but de limiter le pouvoir des grands feudataires, auxquels il était dit qu’ils ne devaient pas agrandir ou réparer leurs châteaux sans l’autorisation du bakufu, qu’ils ne devaient pas faire venir des hommes d’autres fiefs dans leurs domaines, que leurs mariages devaient être approuvés par le shôgun et qu’ils devaient dénoncer sur-le-champ toute activité subversive de la part de leurs voisins.
La publication de ce document ne fut guère plus qu’une formalité, une occasion, car Ieyasu était déjà parvenu à soumettre les tozama grâce aux méthodes précédemment décrites, et en durcissant sa façon de les traiter à mesure que les pressions qu’il exerçait portaient leurs fruits. Mais l’accroissement de puissance que lui valurent ses entreprises économiques se révéla plus efficace encore que la contrainte directe. Il était immensément riche, comme en témoignent de nombreuses lettres de missionnaires chrétiens. Après Sekigahara, il avait amplement élargi l’éventail des droits de propriété des Tokugawa en prenant sous sa juridiction directe les villes d’Edo, Kyoto, Osaka, Nagasaki, Yamada et Nara. Il plaça celles-ci sous l’autorité de fonctionnaires nommés dans le but de servir ses intérêts. Il s’arrogea en outre la propriété de diverses mines d’or et d’argent, confiant à son agent Okubo Nagayasu le soin de développer Sado, Iwami, Ikuno et autres gisements de valeur. Après la création d’une monnaie à Fushimi en 1601, il tira profit de la frappe des pièces d’or et d’argent qui devaient circuler dans l’ensemble du pays. Mais peut-être son plus grand intérêt fut-il le commerce extérieur, qu’il souhaitait développer non seulement comme
Weitere Kostenlose Bücher