Histoire du Japon
obligations destinées à réduire leurs richesses et à limiter du même coup leur puissance militaire.
Mais sa renommée fut peut-être son arme la plus puissante. A la fin de sa vie, on le traitait comme une idole, un objet de culte, presque une divinité ; et bien que le peuple crût qu’il avait assassiné Hideyori, sa souveraineté était considérée comme absolue. Il établit les bases d’un gouvernement qui devait durer plus de deux siècles ; et pendant des générations ses successeurs appliquèrent ce qu’on appelait « la loi ancestrale » – les principes qu’il avait posés –, qui acquit bientôt la valeur d’un texte sacré. Aucun shôgun avant lui n’avait atteint un tel sommet de gloire, ni de son vivant ni après sa mort. Les honneurs qui lui furent rendus lors de ses funérailles dépassaient de loin ceux que l’on avait accordés à Yoritomo ou à Takauji, et il fut déifié ensuite en recevant le titre de Gongen, qui veut dire avatar du Bouddha. Jusque récemment, les Japonais le connaissaient sous le nom de Gongen Sama.
On peut se demander comment il réussit à imposer sa volonté aux principaux seigneurs guerriers. La réponse est que, par sa victoire de Sekigahara, il avait mis fin au conflit entre un mouvement civil confus, mené par Ishida, et un parti militaire dont il occupait la tête avec ses généraux. Il parvint à cela du fait que, contrairement à Hideyoshi, qui avait gaspillé ses forces durant la campagne de Corée, il avait mis sur pied une grande armée disciplinée. Après la chute d’ôsaka, même si ses plus puissants ennemis avaient encore la possibilité de reprendre la lutte, ils n’osèrent pas défier son ascendant moral. Par la suite, ils abandonnèrent tout espoir de diviser le pays, estimant (selon les mots mêmes de l’un d’eux, Nabeshima Nobushige) que c’était « impossible, même en rêve ».
Ieyasu ne s’intéressait guère aux détails administratifs. Il avait de ses problèmes une vision globale, et il aimait les solutions hardies. Ainsi, ce n’est qu’après sa mort qu’on s’attacha à organiser le bakufu de façon minutieuse. Entre 1600 et 1615 se situe une période de transition entre gouvernement militaire et civil extrêmement active, qui mérite une étude attentive, car elle révèle les traits les plus vivants et originaux du tempérament national, et un pouvoir d’invention et d’improvisation qu’on ne reconnaît que rarement au Japon. Par ailleurs, elle met en relief l’esprit tâtillon du système qui se développa un siècle plus tard. Au cours de ses dernières années, Ieyasu s’appuyait non seulement sur une administration régulière, mais sur nombre d’hommes de talent qu’il avait réunis autour de lui. Parmi ceux-ci se trouvaient des personnages divers comme les moines Tenkai et Süden ; le lettré confucéen Hayashi Razan ; de riches marchands tels que Gotö Shôza-burô, Chaya Shirôjirô, Suminokura Ryôi, Shimai Sôshitsu et Imai Sôkun ; l’Anglais Will Adams ; et quelques vassaux favoris comme Okubo Tadachika, qui était avec lui depuis l’époque du Mikawa, sans parler de partisans comme Honda Masanobu, qui avait été son fauconnier.
Ils étaient tous d’une dimension exceptionnelle, contrastant heureusement avec les fonctionnaires traditionnels, et la plupart d’entre eux méritent une attention spéciale du fait de leur intérêt personnel et de la nature des services qu’ils rendirent à Ieyasu. Chaya Shirôjirô est peut-être le meilleur exemple du type d’hommes que Ieyasu trouvait le plus utile. Son père, un rônin (guerrier sans maître) estropié au cours de ses campagnes, s’installa comme drapier à Kyoto, où il fit des affaires pour le père de Ieyasu, auprès duquel il envoya le jeune Shirôjirô comme écuyer et compagnon dans le likawa. Ayant repris la suite de ses affaires, Shirôjirô devint le fournisseur de la famille Tokugawa dans le Yamashiro, et il compta bientôt parmi les marchands les plus riches de Kyoto, où il menait grand train. En tant que fournisseur, il s’occupait de l’approvisionnement militaire de Ieyasu, et il se trouvait avec lui lors de ses principales batailles, de Mikatagahara (1572) à idawara (1590).
C’est ce Chaya qui avertit Ieyasu de la mort d’Oda Nobunaga et lui donna i possibilité de s’enfuir de Sakai en 1582, lors de la dangereuse traversée de Iga. Il agit également comme agent de renseignements de Ieyasu à Kyoto, ù,
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