Histoire du Japon
réticence à se fixer à Edo à la demande de Hideyoshi après la chute d’Odawara, car cela signifiait la perte de ses anciennes provinces, et notamment du Mikawa, qui était son berceau comme celui des célèbres bushi. Mais il comprit qu’il lui fallait ronger son frein, et la patience comptait parmi ses qualités au même titre que la prévoyance.
Tout à fait en dehors de sa perspicacité politique, c’était un bon guerrier et un stratège né. Habile au tir à l’arc, c’était un homme d’une constitution robuste qui aimait tous les exercices de plein air et connaissait à peine la maladie. A soixante ans, il était extrêmement actif et adorait chasser, nager et monter à cheval. Son corps était petit mais bien développé, avec une tendance à la corpulence – ce en quoi, comme par d’autres côtés, il ressemblait à Napoléon 213 .
Ses qualités de général ne peuvent être mises en question. Il donna à Hideyoshi une idée de ses talents à Komakiyama et à Nagakute. On prétend qu’il livra plus de quarante-cinq batailles. Il ne les remporta pas toutes, mais à Mikata-ga-hagara il défit une armée deux fois plus nombreuse que la sienne, placée aux ordres de Takeda Shingen, considéré à tort comme le plus grand capitaine de son temps.
Bien qu’il eût des goûts simples, il consacra beaucoup de temps à s’enrichir. Ses provinces de l’Est avaient une grande valeur, et ses investissements dans le commerce et l’industrie lui rapportaient d’immenses profits. Il admirait le personnage de Yoritomo, et il lut avec soin l’Azuma kagami, ou « Miroir de l’Est », récit officiel, par le bakufu de Kamakura, de la période allant de la révolte de Yoritomo, en 1180, à 1266. Il pratiquait régulièrement le Nembutsu (Appel du Bouddha).
L’idée qu’on se fait traditionnellement de la réussite de Ieyasu est qu’il mangea le pâté préparé par Nobunaga et cuit par Hideyoshi. Comme tous les apophtegmes, celui-ci n’est qu’à demi vrai. Ieyasu bâtit sans doute sur les fondements posés par ses prédécesseurs, dont les exploits militaires avaient amené une certaine unité politique, mais c’est Ieyasu qui acheva le processus grâce à un talent à la fois militaire et civil qui faisait de lui un génie. Sa volonté était aussi forte que la leur, son jugement politique était beaucoup plus sain, et dans l’action, alors qu’ils étaient souvent emportés et violents, lui gardait la tête froide et se montrait patient et prévoyant. Son personnage n’est toutefois pas très sympathique, car il lui manque de cette chaleur qui rendait si vivants ses scandaleux confrères.
LE SHOGUN ET LE TRÔNE
L’une des premières tâches accomplies par Hidetada pour Ieyasu fut de réglementer les pouvoirs et devoirs de l’empereur et de la cour. Du point de vue pratique, la chose n’avait guère d’importance, car le shôgun avait tous les pouvoirs qu’il lui plaisait de prendre ; mais il était souhaitable de définir les relations du bakufu avec le Trône, ne serait-ce qu’en guise d’avertissement contre une conspiration de la noblesse.
Il y avait eu un ordre, communiqué en 1613 par Ieyasu à Itakura Shige-nori, l’un de ses officiers (le shoshi-dai ou représentant) à Kyoto, renfermant des règles courtes qui définissaient la conduite des nobles. Ceux-ci devaient se consacrer à l’étude et se comporter avec bienséance, éviter une vie dissolue, notamment le jeu et la fréquentation des gens désordonnés. La désobéissance serait punie d’exil.
Une ordonnance beaucoup plus détaillée fut publiée en 1615, peu après la chute d’Osaka, alors que la position de Ieyasu était devenue imprenable. Connu sous le nom de Kinchü kuge sho-hatto (Règles pour le palais et la cour), ce document est d’un grand intérêt, car il montre clairement quelle était l’attitude des shôgun Tokugawa envers l’empereur régnant et sa noblesse. Les principaux points de ses dix-sept articles peuvent être résumés comme suit :
L’empereur [pour mettre l’accent sur sa naissance plutôt que sa fonction, il est appelé Tenshi, et non pas Tennô] doit se consacrer au savoir. Il doit suivre l’enseignement classique et encourager la tradition poétique.
Des échelons de rang corrects doivent être observés. Les grands ministres [dajô-daijin, sa-daijin et u-daijin] auront la préséance sur les princes de sang royal.
Les rangs de cour et les charges des membres des maisons
Weitere Kostenlose Bücher