Histoire du Japon
aussi petite et faible que celle que constituaient les chrétiens après 1625. Mais ni Hidetada ni Iemitsu n’étaient d’une trempe héroïque, et il est probable qu’eux et leurs conseillers redoutaient sincèrement une quelconque agression étrangère. Ils n’étaient pas hommes à prendre des risques. Ils n’avaient pas confiance en les seigneurs extérieurs, et ce qu’ils avaient appris des activités des États européens ne les encourageait pas à entrer dans la lutte commerciale et territoriale qui se livrait dans le Pacifique.
Il existe sur ce point un passage éclairant dans une relation de François Caron, directeur de la base commerciale hollandaise au Japon, qui eut l’occasion de donner à Iemitsu quelques leçons de géographie mondiale. Écrivant en 1641, il affirme que, « après s’être enquis de la dimension du monde, de la multitude de ses pays et de la petitesse du Japon […] il [Iemitsu] fut grandement surpris et souhaita de tout cœur qu’aucun chrétien n’eût jamais visité son pays 219 ».
Lorsqu’on songe à l’histoire de la persécution des chrétiens au Japon, on ne peut éviter la question de la cruauté. Les récits des tortures infligées aux convertis sont à fendre le cœur, et font haïr le souvenir même de ceux qui ordonnèrent pareilles atrocités. Ils semble que la religion suscite des haines auprès desquelles les animosités du monde profane paraissent presque aimables. Au Japon, des hommes, des femmes et des enfants moururent après des supplices prolongés avec une habileté si diabolique qu’elle semble sans comparaison ailleurs 220 . Mais le dossier de l’Église chrétienne de l’Europe médiévale n’est pas moins écœurant. Il tire même un surcroît d’horreur du fait qu’on se réjouissait de la souffrance des victimes. On apprend ainsi que Savonarole subit pendant de nombreux jours des « tortures multiples et assidues », et que les croisés albigeois brûlèrent d’« innombrables hérétiques avec une joie immense – [cum ingenti gaudio] ».
Il faut noter que la persécution des chrétiens au Japon n’était pas avant tout d’origine religieuse. Elle ne fut pas suggérée par l’Église bouddhique, et le clergé bouddhiste n’y joua qu’un rôle secondaire. L’animosité de la classe dirigeante face au christianisme était essentiellement d’ordre politique. Socialement, le christianisme était incompatible avec la hiérarchie féodale, et, moralement, il allait à l’encontre du code de la classe des guerriers. C’était la foi des ennemis potentiels du Japon.
Mais il est peu probable que la crainte du christianisme ait été la raison
dominante de la politique d’isolement. On trouve à ce propos un témoignage intéressant dans le récit que fit un lettré Ming, Huang Zongxi, d’un voyage qu’il effectua au Japon vers 1646 pour obtenir de l’aide contre les Mandchous. A propos de la politique d’isolement, il dit que la peur des Européens et du christianisme en était un motif, mais que sa raison profonde résidait dans la détermination des Tokugawa d’obtenir la paix et la prospérité, et d’éviter toute immixtion de l’extérieur susceptible de compromettre ce dessein.
Le mal que se donna le bakufu pour appliquer cette politique paraît confirmer l’opinion de Huang. Les mesures prises étaient typiques de la Chine confucéenne, de tout temps isolationniste et préoccupée de sécurité intérieure, et en particulier de la Chine Ming, qui démantela sa flotte, ferma ses ports, et limita le commerce aux endroits où il pouvait être strictement réglé.
La nature du commerce extérieur du Japon au XVIIIe siècle est un point souvent négligé dans l’étude de la politique d’isolement. Les navires portugais, hollandais et anglais accueillis dans les ports japonais n’apportaient pas des marchandises provenant de l’Occident, mais des articles d’autres régions de l’Asie, et surtout de la Chine. Quand le commerce fut limité au seul port de Nagasaki, le Japon ne se trouva privé d’aucune marchandise essentielle, celles-ci continuant d’être importées par des bateaux chinois, hollandais et anglais. Le bakufu Tokugawa n’interrompit pas le commerce entre la Chine et le Japon, même si certains articles en furent parfois exclus.
CHAPITRE LU
Le gouvernement des fiefs
LES DAIMYO FUDAI ET TOZAMA
Le gouvernement féodal centralisé, mis en place au cours du processus d’unification
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