Histoire Romaine
le nombre des affranchis s’augmentant avec le bien être des habitants,
élevèrent rapidement la population des non-citoyens à un chiffre démesuré. Vinrent
ensuite les peuples des villes voisines conquises et incorporées ; lesquelles
toutes, soit qu’elles fussent effectivement amenées dans Rome, soit qu’elles
demeurassent dans leur ancienne patrie déchue à l’état de simple village, avaient
dans la réalité échangé le droit de cité dans leur ville, contre la condition
de véritables Métœques [72] .
D’un autre côté les charges du service militaire pesant sur les anciens
citoyens seuls, les rangs du patriciat allaient s’amoindrissant tous les jours,
pendant que les simples habitants participaient aux profits de la victoire, sans
l’avoir payée de leur sang. – Aussi devons-nous nous étonner de ne pas voir les
patriciens disparaître plus vite qu’ils ne le faisaient ; s’ils sont
restés nombreux durant longtemps encore, il n’en faut pas attribuer la cause à
l’introduction de quelques familles considérables venues du dehors, et qui, abandonnant
volontairement leur patrie, ou transportées par force après la conquête, auraient
reçu la cité pleine. De telles admissions n’ont été d’abord que très rares ;
et elles le devenaient davantage à mesure que le titre de citoyen romain avait
acquis une haute valeur. Un fait plus sérieux explique ce phénomène : nous
voulons parler du mariage civil qui, contracté sans les solennités de la
confarréation, légitimait les enfants nés de la simple cohabitation prolongée
des parents, et en faisait des citoyens complets. Très probablement ce mariage,
pratiqué dès avant la loi des Douze Tables, sans produire, il est vrai, ses
effets civils au début, a dû la faveur dont il a joui au besoin de mettre
obstacle à la diminution croissante du patriciat [73] . Il faut reporter
à la même cause les moyens imaginés pour propager dans chaque maison une
descendance nombreuse. Il est probable enfin que les enfants nés d’une mère
patricienne mésalliée ou non mariée ont été aussi plus tard admis à la cité. – Mais
toutes ces mesures étaient insuffisantes : les simples habitants allaient
toujours s’augmentant, sans que rien y mît obstacle : les efforts des
citoyens, au contraire, n’aboutissaient tout au plus qu’à ne pas trop décroître
en nombre. La force des choses améliorait la situation des premiers. Plus
nombreux, ils devenaient nécessairement plus libres. Il n’y avait pas seulement
parmi eux des affranchis, des étrangers patronnés : ils comptaient surtout
dans leurs rangs, nous ne saurions trop le redire, les anciens citoyens des
villes latines vaincues, et les immigrants latins vivant à Rome, non pas selon
le bon plaisir du roi, ou des citoyens romains, mais aux termes même d’un
traité d’alliance. Maîtres absolus de leur fortune ils acquéraient de l’argent
et des biens dans leur patrie nouvelle ; ils laissaient leur héritage
foncier à leurs enfants, et aux enfants de leurs enfants. En même temps se relâchait
le lien de la dépendance étroite qui les attachait tous aux familles des
patrons. L’esclave affranchi, l’étranger nouvellement venu dans la ville, étaient
isolés jadis ; aujourd’hui, des enfants, des petits enfants les ont
remplacés, qui s’entraident, et tentent de repousser dans l’ombre l’autorité du
patron. Jadis le client, pour obtenir justice avait besoin de son assistance :
mais, depuis que l’État en se consolidant avait à son tour amoindri la prépondérance
des gentes et des familles coalisées, on avait vu souvent le client se
présenter seul devant le roi, demander justice, et tirer réparation du
préjudice souffert. Et puis, parmi tous ces anciens membres des cités latines
disparues, il en était beaucoup qui n’étaient jamais entrés dans la clientèle d’un
simple citoyen ; ils appartenaient à la clientèle du roi, et dépendaient d’un
maître auquel tous les autres citoyens, à un autre titre si l’on veut, étaient
aussi tenus d’obéir. Or le roi qui, à son tour, savait son autorité dépendante
du bon vouloir du peuple, dut trouver avantageux de se former avec ces nombreux
protégés tout une utile classe d’hommes, dont les dons et les héritages pouvaient
remplir son trésor, sans compter la rente qu’ils lui versaient en échange de sa
protection ; dont il appartenait à lui seul de déterminer les prestations
et les
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