Histoire Romaine
sorte d’existence religieuse. Que si la position militaire
étant trop forte, il était absolument nécessaire de transplanter toute la
population ailleurs, Rome ne pouvait oublier, d’un autre côté, les intérêts de
l’agriculture ; et elle se contenta souvent de répartir les habitants dans
les bourgs ouverts de leur ancien territoire. Quoi qu’il en soit, les vaincus
furent souvent, tous ou pour la plupart, transportés dans la ville romaine, et
contraints à se fixer. Les légendes latines le disent en maintes occasions :
et, ce qui le prouve mieux que la légende, c’est la loi romaine elle-même, d’après
laquelle celui-là seul pouvait pousser en avant le Pomœrium ( mur
de ville ), qui avait d’abord agrandi le territoire romain [83] . Naturellement, qu’ils
fussent ou non conduits à Rome, les vaincus tombèrent en clientèle [84] : quelques-uns
d’entre eux, des familles entières même, furent admis au droit de cité, autrement
dit, au patriciat. Sous les empereurs, on citait encore des familles Albaines, ainsi
introduites dans Rome, avec droit de cité, après la ruine de leur patrie ;
les Jules , les Serviliens , les Quinctiliens , les Clœliens ,
les Géganiens , les Curiace s, les Métiliens . Ces familles
perpétuaient les souvenirs de leur origine, en entretenant des sanctuaires sur
l’ancien territoire d’Albe : c’est ainsi que la chapelle des Jules à
Bovilles redevint illustre à l’établissement de l’empire.
La centralisation ainsi opérée par la fusion de plusieurs petites
cités dans une cité plus grande, n’était rien moins que le résultat d’une
pensée appartenant en propre aux Romains. Les peuples latins et sabelliques ne
sont pas les seuls chez lesquels l’histoire montre la lutte entre le
particularisme des cantons et le mouvement vers l’unité nationale : la
civilisation des Hellènes offre le même phénomène. Ainsi que pour Rome dans le
Latium, la concentration des tribus en un seul État fit la fortune d’Athènes
dans l’Attique. Le sage Thalès indiqua cette réunion aux peuples de l’Ionie,
comme l’unique moyen de sauver leur nationalité. Mais Rome poursuivit l’idée de
l’unité avec une persistance, une logique et un bonheur qu’on ne retrouve nulle
part en Ionie ; et de même qu’en Grèce le rang éminent occupé par Athènes
était dû à une centralisation précoce, de même Rome dut aussi sa grandeur à l’application
plus complète et plus énergique encore d’un système politique semblable.
Les premières conquêtes de Rome dans le Latium eurent pour
résultat immédiat l’agrandissement de la cité et de son territoire : mais
la conquête d’Albe entraîna de plus des conséquences immenses. Si la tradition
fait grand bruit de cet exploit des Romains, ce n’est point à cause de la
puissance ou de la richesse fort problématiques de la ville vaincue. Mais, celle-ci,
métropole de la confédération latine, avait la préséance sur les trente villes
alliées. Sa destruction consommée, la fédération ne tomba point pour cela :
pas plus que n’était tombée la ligue bœotienne après la chute de Thèbes [85] . Seulement, chose
en tous points conforme au droit des gens d’alors, et au régime privé des
guerres entre les peuplés latins, Rome soutint qu’elle avait succédé aux
privilèges d’Albe, et revendiqua la présidence de la ligue. Sa prétention
fut-elle admise de plein droit ? Y eut-il lutte, au contraire, soit avant,
soit après cette revendication ? On l’ignore. Ce qu’il y a de sûr, c’est
que l’hégémonie de Rome fut à peu de temps de là généralement acceptée, sauf en
deux où trois localités, qui comme Labicum et surtout Gabies, réussirent
quelque temps à s’y soustraire. A cette époque, déjà, la mer faisait Rome
puissante en face de la région intérieure : véritable ville, elle l’emportait
sur les bourgades d’alentour : cité fortement unie, elle était prépondérante
au milieu d’une fédération de petites villes. C’était enfin par elle, et avec
elle seule, que les Latins pouvaient défendre leurs côtes contre les
Carthaginois, les Hellènes et les Étrusques ; repousser de leurs
frontières leurs voisins remuants des contrées Sabelliques, et s’agrandir même
en les refoulant. J’admets que la destruction d’Albe n’a pas plus agrandi le
territoire romain que ne l’a fait la conquête d’Antemnœ ou de Collatie : j’admets,
si l’on veut, que,
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