Kenilworth
Pour ce qui est de la vendre, ne suis-je pas marchand ? À ces mots il lui présenta une poudre. Mais elle est bien chère, continua-t-il, je l’ai payée son pesant d’or, et de l’or le plus pur ; elle vient du mont Sinaï, où notre bienheureuse loi nous fut donnée, et c’est une plante qui ne fleurit qu’une fois par siècle.
– Peu m’importe tout ce verbiage, dit Wayland en regardant d’un air de défiance dédaigneuse la poudre que le juif lui offrait ; mais ce que je sais fort bien, c’est que la méchante drogue que vous me présentez en place de celle que je vous demande se trouve dans les fossés d’Alep, et qu’elle ne coûte que la peine de l’y ramasser.
– Eh bien, répondit le juif d’un air encore plus surpris, je n’en ai pas de meilleure ; et quand j’en aurais, je ne vous en voudrais pas donner sans un ordre du médecin, ou sans savoir l’usage que vous en voulez faire.
Wayland fit une courte réponse dans une langue que Tressilian ne put comprendre. L’étonnement du juif parut redoubler. Il ouvrit de grands yeux, et les fixa sur Wayland de l’air d’un homme qui, dans un étranger en apparence humble et ignoré, reconnaîtrait tout-à-coup un héros illustre, un potentat redoutable.
– Saint prophète Élie ! s’écria-t-il après s’être remis des premiers effets d’une surprise qui l’avait comme étourdi. Et passant rapidement de ses manières bourrues et soupçonneuses à l’air le plus soumis et le plus servile : – Ne me ferez-vous pas l’honneur, lui dit-il, d’entrer dans mon humble demeure, et de lui porter bonheur en y posant vos pieds ? Refuserez-vous de boire un verre de vin avec le pauvre juif Zacharie Yoglan ? Voulez-vous du vin d’Allemagne… du Tokai… du Lacryma ?
– Vos politesses sont hors de saison, dit Wayland ; donnez-moi ce que je vous demande, et trêve à vos longs discours.
L’Israélite prit son trousseau de clefs, et ouvrant avec circonspection une armoire qui paraissait fermée avec plus de soin que toutes les autres de la boutique, il poussa un ressort qui fit sortir un tiroir secret, couvert d’une glace, et dans lequel se trouvait une petite quantité d’une poudre noire. Il l’offrit à Wayland d’une manière qui semblait annoncer qu’il ne pouvait rien lui refuser ; mais que c’était à contre-cœur et avec regret qu’il cédait un seul grain de ce trésor ; ces deux sentimens semblaient se combattre sur sa physionomie.
– Avez-vous des balances ? lui demanda Wayland.
Le juif lui montra celles dont il se servait habituellement dans sa boutique, mais avec une expression de doute et de crainte si prononcée, qu’elle ne put échapper aux yeux pénétrans de Wayland.
– Il m’en faut d’autres, lui dit-il d’un ton sévère. Ne savez-vous pas que les choses saintes perdent de leur vertu, si on les pèse dans une balance qui n’est pas juste ?
Le juif baissa la tête, et tira d’une petite cassette garnie en acier une paire de balances richement montées. – Ce sont celles dont je me sers pour mes expériences de chimie, dit-il en les présentant à Wayland ; un poil de la barbe du Grand-Prêtre, mis dans un des plateaux, suffirait pour le faire pencher.
– Il suffit, répondit Wayland ; et, prenant les balances, il y pesa lui-même deux dragmes de la poudre noire, les enveloppa soigneusement dans du papier, les mit dans sa poche, et en demanda le prix.
– Rien, rien du tout pour un homme comme vous. Mais vous viendrez revoir le pauvre juif. Vous jetterez un coup d’œil sur son laboratoire, où, à force de travail, il s’est desséché comme la gourde du saint prophète Jonas. Vous aurez pitié de lui. Vous l’aiderez à faire quelques pas sur la noble route…
– Paix ! dit Wayland en posant mystérieusement un doigt sur ses lèvres. Il est possible que nous nous revoyions. Vous avez déjà le Scah-majm , comme vos rabbins l’appellent,… la création générale. Veillez donc et priez, car il faut que vous arriviez à la connaissance de l’élixir Alchabest Samech avant que je puisse communiquer avec vous.
À ces mots il répondit par un léger signe de tête au salut respectueux du petit juif, et sortit gravement de la boutique, suivi par son maître, dont la première observation sur la scène dont il venait d’être témoin fut que Wayland aurait dû, en toute justice, payer au marchand la drogue qu’il avait fournie, quelle que pût en être la
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