La chute de l'Empire Romain
surtout le sort de Rome et de l’Empire l’obsédait. Elle avait partagé sans la connaître l’exclamation de saint Jérôme : « Rome est devenue le tombeau des nations dont elle a été la mère. »
Elle savait que saint Augustin avait écrit en pleurant : « Je ne pouvais me consoler. »
Et saint Jérôme avait ajouté : « C’était le temps des larmes. »
Mais Galla Placidia n’avait pas pleuré, s’efforçant de paraître impassible, sûre d’elle.
Si elle voulait sauver sa vie, la Virtus était sa sauvegarde.
Elle vivait dans le camp des Goths, confinée sous une grande tente. Des tapis provenant des pillages des palais romains couvraient le sol.
Chaque jour, Athaulf lui rendait visite.
Elle lui faisait face, le contraignant à baisser les yeux, et même à reculer jusqu’à l’entrée de la tente.
Il s’immobilisait, hésitant, les bras croisés, les poings serrés. Galla Placidia le sentait prêt à bondir sur elle, à la renverser.
Elle l’imaginait sans que son visage révélât l’inquiétude qui lui serrait la gorge. Elle s’efforçait de lui manifester à la fois indifférence et mépris. Mais il avait le corps vigoureux d’un chef de guerre d’une trentaine d’années. Son visage régulier et avenant exprimait l’autorité, la maîtrise de soi et la franchise.
Elle pensait alors que le sang des Barbares pouvait régénérer la race romaine.
Il fallait se servir d’eux comme font les éleveurs qui enferment dans le même enclos un étalon et une jument.
Elle repoussait cette idée avec une sorte d’effroi, d’attirance et de dégoût.
Souvent Athaulf l’invitait à s’asseoir, mais elle restait figée, campée devant lui, croisant elle aussi les bras. Et après un long moment, il secouait la tête et commençait à marcher autour d’elle et lorsqu’il était derrière elle, qu’il la frôlait, le corps de Galla vibrait, peut-être de peur, peut-être de désir.
Athaulf commençait à parler d’une voix chaude et rugueuse, disant qu’il était veuf de la sœur du roi des Goths, Alaric, qu’il était père de nombreux enfants, tous baptisés chrétiens comme il l’était lui-même.
Chrétien ?
Galla, avec une moue de mépris, murmurait : « hérétique, comme tous les Barbares qui refusaient la Trinité, du Père, du Fils et du Saint-Esprit ».
Chrétien ! répétait-elle dès qu’Athaulf avait quitté la tente. Peut-être Dieu avait-il choisi les Barbares pour châtier Rome et l’Empire de leurs faiblesses et de leurs vices ?
Elle s’allongeait sur un grand tapis de couleur pourpre. Elle s’en enveloppait.
C’était la couleur impériale. Et l’Empire ne pouvait survivre, renaître que par le courage, l’espérance, la foi et la ruse.
Elle, Galla Placidia, fille et sœur d’empereurs, chrétienne, catholique romaine, croyait à la Résurrection.
Elle devait incarner la Virtus.
13.
Galla Placidia, maintenant que trente ans avaient passé et qu’elle s’efforçait de comprendre, de juger ses actes et les choix qu’elle avait faits au long de sa vie, se souvenait de ces jours d’automne et d’hiver de l’an 410, quand elle n’était que l’otage de prix du roi des Goths Alaric.
Elle s’était débattue quand, un matin de septembre, alors qu’une pluie d’averse noyait le camp barbare, des Goths étaient entrés dans sa tente et l’avaient entraînée, lui tordant les bras, la griffant, écrasant ses seins.
Brusquement, ils s’étaient écartés, se protégeant des coups du plat de la lame qu’avec son glaive leur portait Athaulf.
Il hurlait, et comme des rats les Barbares s’étaient enfuis.
Galla Placidia avait suivi Athaulf, qui lui montrait un char couvert d’une tente où elle devait prendre place.
Le vent était glacé et la pluie frappait dru, l’eau coulait dans le char.
Les cris des Goths, des prisonniers qu’ils frappaient, des femmes qu’ils jetaient à terre et violaient, ce tumulte avait un instant désespéré Galla et elle avait craint de lancer un cri de détresse et peut-être, si Athaulf avait été près d’elle, l’aurait-elle imploré.
Mais lorsqu’il avait voulu monter dans le char elle l’avait chassé d’un geste.
Il avait sauté dans la boue et laissé retomber la toile et Galla seule dans la pénombre du char avait prié, remerciant Dieu de lui avoir donné la force de ne pas être emportée par la panique.
La horde barbare − Galla Placidia souvent appelait ainsi
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