La dame de Montsalvy
d'or, ajouta-t-il avec un sourire. Et si j'en dépense un peu pour vous, mon amie, ce n'est, croyez-moi, que justice. Ne prenez donc nul souci de cela. À présent je vous souhaite une bonne nuit. Nous nous reverrons... discrètement, chez Carlotta où j'irai l'un de ces soirs prendre de vos nouvelles.
Il la quitta sur un salut cérémonieux, bavarda quelques instants avec maître Cornelis, salua quelques marchands étrangers qu'il connaissait et, finalement, quitta l'auberge, laissant Catherine remonter chez elle où elle soupa gaiement entre Gauthier et Bérenger. Éblouis par tout ce qu'ils avaient vu, les deux garçons bavardaient comme des pies et Catherine dut s'y reprendre à trois fois pour leur expliquer le programme du lendemain et des jours suivants.
Après quoi elle se coucha et dormit comme une enfant jusqu'à ce que le soleil, qui s'était décidé à reparaître, fût haut dans le ciel.
Rien ne la pressait en effet car elle souhaitait partir au grand jour, au vu et au su de tous et d'une façon aussi naturelle que possible : la dame d'Armentières, son pèlerinage heureusement accompli, s'en retournait chez elle. Et personne, très certainement, n'accorderait d'attention au départ de cette bourgeoise, riche sans doute, mais discrète.
Vers le milieu de la matinée, elle ordonna à Gauthier d'aller aux écuries pour faire préparer les chevaux mais le jeune homme remonta presque aussitôt, flanqué d'un garçon d'une quinzaine d'années, modestement vêtu, dont les habits, portant des taches de couleurs vives et dont certaines étaient toutes fraîches, disaient assez la profession.
— J'ai trouvé en bas ce jeune homme, dit l'écuyer. Il vient de la part de messire Van Eyck et il apporte une lettre.
— Une lettre urgente ! précisa le jeune garçon. Mon maître m'a bien recommandé de ne la remettre qu'entre les mains de dame Berneberghe.
— Vous êtes de ses élèves ? demanda Catherine en considérant avec sympathie le visage ouvert, les cheveux blonds et les yeux bleus encore pleins de la naïveté de l'enfance de son jeune visiteur.
— Je suis son élève, madame... le seul ! fit-il fièrement. Maître Van Eyck, vous le savez sans doute, a inventé de nouveaux procédés de peinture et il garde jalousement ses secrets. Mais il m'aime bien.
— Comment vous appelez-vous ?
— Peter Christ, pour vous servir, madame... Vous plairait-il de lire la lettre ? Il paraît qu'il y a grande urgence...
— Je la lis ! Offrez donc un peu de vin à ce garçon, Gauthier...
Souriant encore, Catherine déplia le billet pensant qu'il s'agissait d'une ultime recommandation avant son faux départ. Mais son sourire s'effaça brusquement et elle dut s'asseoir pour achever la lecture de ces quelques lignes qui brusquement se brouillaient devant ses yeux.
« La Florentine est morte cette nuit. Maître Arnolfini l'a trouvée pendue dans son entrepôt de drap qui jouxte la maison de Carlotta.
Le bruit de cette mort emplit la ville mais peut-être n'avez-vous pas entendu ce bruit et j'ai voulu que vous en soyez informée tout de suite.
Je suis désolé, mon amie, mais le mieux est que vous repartiez. Allez à Lille, voyez dame Symonne. Elle trouvera peut-être un moyen de vous sauver. Mon cœur saigne en vous disant adieu... Que Dieu vous garde
! »
Catherine était devenue si pâle que Gauthier poussa le jeune Peter vers la porte, pressé qu'il était de savoir le contenu de la lettre, mais Catherine l'arrêta.
— Maître Van Eyck n'a rien dit d'autre ? demanda-t-elle d'une voix blanche. Pourquoi n'est-il pas venu lui-même ?...
Gêné le jeune garçon baissa le nez comme s'il eût été coupable de cette absence, tortilla nerveusement son bonnet rouge entre ses mains sans répondre.
— Eh bien ? Qu'y a-t-il ? Il n'est pas malade j'espère ?
— Non, non... mais... oh, et puis tant pis ! Hier au soir, en rentrant il a eu avec dame Marguerite une terrible scène. Elle l'a accusé d'être un débauché, un coureur de jupons... On lui a dit qu'il avait amené à l'auberge une... une bonne amie et elle était furieuse. Alors, ce matin elle l'a enfermé à double tour dans son atelier... avec moi, en criant qu'il ne sortirait que quand elle le voudrait bien !
— Mais alors comment es-tu sorti ? demanda Bérenger.
— Par la fenêtre, bien sûr, celle qui donne sur le canal. Je suis descendu avec une corde jusque dans la grosse barge qui est toujours amarrée en dessous... et je rentrerai de la
Weitere Kostenlose Bücher