La dame de Montsalvy
même façon. Que faut-il dire à maître Van Eyck ?
Le dialogue des deux garçons avait permis à Catherine de se remettre un peu de cette catastrophe incompréhensible qui la frappait. Carlotta, morte ! Mais comment ? Mais pourquoi ? Avait-elle donc des ennemis si acharnés car elle ne pouvait s'être suicidée
? Dans ce métier, bien sûr, il y avait de grands risques et peut-être un mari, un amant à la suite d'un drame dont on la rendait responsable ? Qui pouvait savoir ?
En dépit de son tourment, elle réussit pourtant à sourire au jeune messager en lui répondant :
— Vous êtes un brave garçon ; dites-lui que je le remercie de ses souhaits de bon voyage. Dans un moment nous aurons quitté Bruges. Dites-lui aussi que je suivrai son conseil... et que je le plains de tout mon cœur !
Nanti d'une pièce de monnaie, Peter repartit joyeusement vers sa corde et sa fenêtre, tandis que Catherine, sans un mot, tendait la lettre à Gauthier qui la parcourut et la lui rendit avec un regard chargé d'interrogations.
— Qu'est-ce que cela veut dire ? Cette femme vous a-t-elle paru sur le point de se suicider ?
— Sûrement pas. Je vous l'ai dit : j'ai vu une femme aimable en bonne santé, visiblement prospère. Elle m'a même dit qu'elle aimait la vie...
— Alors, on l'a tuée... mais pourquoi ?
— Je n'en sais rien, Gauthier. Ce que je sais c'est qu'il faut quitter cette ville tout de suite. Je n'aurais jamais dû accepter d'y revenir, ni surtout abriter sous un faux prétexte de pèlerinage ce que je venais y faire. Dieu me punit !
Gauthier haussa les épaules.
— Si Dieu devait punir tous ceux qui se servent de lui pour essayer de se tirer d'un mauvais pas, nous aurions des hécatombes quotidiennes. Il faut croire que cette malheureuse a déplu à quelqu'un de puissant, peut-être en refusant son aide ou en demandant trop d'or. Qui peut savoir ? Mais nous, que faisons- nous
? Vous voulez vraiment retourner à Lille, après ce qui s'est passé ?
Commençons par partir. Nous en discuterons en route. Mais je me demande si le mieux n'est pas, après tout, de rentrer à Montsalvy.
Bérenger vous dira que j'ai là-bas une vieille amie, Sara, qui est savante en toute chose de médecine et qui peut-être pourrait me sauver. Sinon... Ah ! j'aurais dû aller vers elle tout de suite, sans attendre... mais revenir chez moi dans cet état me faisait horreur.
Allez préparer les chevaux et payer l'écot !
Avec un signe d'assentiment Gauthier quitta la chambre, redescendit... et remonta presque aussitôt. Cette fois, trois hommes l'accompagnaient : l'un était le patron de la Ronce-Couronnée, maître Cornélis, qui d'ailleurs fermait la marche, paraissant s'abriter derrière les deux autres. Ceux-ci vêtu de belles robes de drap épais garnies de vair et de renard et portant de larges chaperons de velours aux plis compliqués, devaient être des hommes d'importance.
— On ne m'a pas permis d'aller jusqu'à l'écurie, protesta Gauthier, visiblement furieux, ni d'ailleurs de payer notre écot. Ces gens ont paraît-il à parler à ma dame...
— Tenez votre langue, mon garçon, grogna le plus grand des deux inconnus et sachez à qui vous vous adressez. Je suis l'un des deux bourgmestres de cette ville, Louis Van de Walle et voici l'échevin Jean Metteneye !...
Puis se tournant vers Catherine il s'inclina légèrement, en un salut qui parut de mauvais augure à la jeune femme car il était trop profond pour une simple bourgeoise et pas assez pour la grande dame qu'elle était en réalité.
— Nous sommes venus vous dire qu'il ne saurait être question pour vous de quitter notre ville... madame la comtesse !
Catherine tressaillit imperceptiblement mais se força au calme. Elle alla même jusqu'à un léger sourire.
Je suis très honorée de votre visite, messieurs, et d'autant plus que je m'en sens bien indigne. Mais je crois qu'en vous adressant à moi en ces termes, vous faites erreur. Je ne suis nullement comtesse.
Simplement bourgeoise, venue de...
— Vous êtes la comtesse de Brazey ; la maîtresse bien-aimée du duc Philippe dont vous êtes enceinte. Et vous -êtes venue ici pour que la Florentine fasse disparaître le fruit de vos amours adultères !
La foudre venait, de la façon la plus imprévue, de s'abattre sur Catherine mais elle avait trop l'habitude des combats pour montrer la crainte qui l'envahissait.
— Sauf le respect que je vous dois, vous êtes fou, sire bourgmestre !
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