La Femme Celte
un chevalier. Des oiseaux
s’acharnent sur lui pour défendre le chevalier. Il tue un oiseau, « mais
une fois à terre, son cadavre est celui d’une femme merveilleusement belle.
Aussitôt tous les oiseaux s’abattent autour d’elle et l’emportent dans les airs
avec des cris plaintifs ». Le chevalier lui explique alors que ce sont les
suivantes de son amie qui est « princesse parmi les fées », et que
celle qui a été atteinte par l’épée de Perceval n’est point morte :
« ses compagnes l’emportent en l’Île d’Avalon, séjour d’immortalité »
(trad. A. Pauphilet, p. 54-56).
Didot-Perceval (roman courtois) : Perceval se bat contre un certain Urbain et il est sur
le point d’être vainqueur. Alors il voit apparaître une troupe d’oiseaux
« plus noirs qu’aucune chose qu’il avait jamais vue ». Et ces oiseaux
l’attaquent avec violence, s’efforçant de défendre Urbain. Perceval tue un des
oiseaux qui, en tombant, se transforme en cadavre de jeune fille. Urbain lui
explique qu’il s’agit des sœurs de son épouse Modron, qui ont le pouvoir de se
transformer en oiseaux (Éd. Roach, v. 200 et suiv.).
Le personnage d’Urbain, dans le Didot-Perceval ,
n’est pas difficile à identifier : c’est l’ Urgben de l’ Historia Brittonum (chap. LXIII) que
nous retrouvons dans une généalogie de la fin du X e siècle,
« Urbgen map Cinmarc [143] , c’est-à-dire en
gallois moderne « Uryen ab Cynfarch. »
Or cet Uryen, tant célébré par les poètes, surtout par Llywarch-Hen
et Taliesin [144] , comme étant le
guerrier redoutable par excellence, le grand pourfendeur des ennemis de la Bretagne,
le chef des Bretons du Nord (région de Strathclyde et de Glasgow), c’est le roi
Urien signalé souvent par Chrétien de Troyes comme étant un des chevaliers de
la Table Ronde, et le père d’Yvain, c’est-à-dire d’Owein.
Il n’est pas difficile de conclure : étant donné que le
père d’Owein est défendu par une troupe d’oiseaux noirs qui sont en réalité les
sœurs de sa femme Modron, les fameux Corbeaux d’Owein, grâce auxquels, partout
où il allait, il était vainqueur, ne sont pas autre chose que ces femmes-fées
capables de se transformer en oiseaux et qui protègent le fils comme elles ont
protégé le père. Et c’est ce qui nous fait mettre en avant le personnage
extrêmement curieux de Modron.
Étymologiquement, Modron est la Matrone ,
la Matrona gauloise dont le nom (gallois Modr ) est celui de la rivière Marne comme il est le
nom générique de toutes les déesses-mères que l’on observe dans la statuaire de
l’époque gallo-romaine. Modron est fréquemment citée dans les textes
mythologiques gallois. Une Triade concernant
« trois portées bénies de l’île de Bretagne », mentionne
« Owein, fils d’Uryen, et Morvudd, sa sœur, en même temps dans le sein de
Modron, fille d’Avallach [145] ». Cette Morvudd
est, d’après une autre triade [146] , « une des trois
femmes aimées par Arthur ». C’est cependant Kynon ab Klydno qui est son
amant [147] , et l’on sait que Kynon
(Calogrenant dans le roman de Chrétien de Troyes) est celui qui tente le
premier l’épreuve de la Fontaine de Barenton et qui indique à Owein l’existence
de cette fontaine : il y a donc un lien entre Kynon et Owein. D’autre part
l’indication de Modron, fille d’Avallach, qui est le nom gallois d’Avalon, nous
ramène étrangement à Morgane, reine et prêtresse de l’île d’Avalon :
n’oublions pas que d’après la Vita Merlini ,
Morgane connaît « l’art de changer l’aspect d’un visage, de voler à
travers les airs [148] ».
En continuant les rapprochements, on voit surgir le personnage
si célèbre dans la littérature épique irlandaise de la déesse Morrigane ou
Morrigu, dont le nom évoque Morgane, et qui, elle aussi, apparaît sous forme
d’oiseau [149] . En fait Morrigane est
presque toujours en compagnie de deux de ses sœurs, Bodbh et Macha, et souvent
même confondue avec elles, particulièrement avec Bodbh. Nous avons déjà étudié
Macha qui est la Déesse-Jument. Mais Bodbh (ou Badbh), nom propre qui a tendance
dans la tradition gaélique à devenir un nom commun générique de la mauvaise
fée, se retrouve dans le nom d’une déesse gauloise de la guerre, connue par une
inscription gallo-romaine découverte en Savoie, la déesse Cathuboduae [150] . Ce nom peut se
décomposer en Cathu ou Cath ,
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