La Fin de Fausta
avait si supérieurement joué son rôle qu’elle eût juré qu’elle ignorait que c’était de sa fille qu’il était question. C’était Léonora qui l’inquiétait : Léonora, qui savait, elle, avait vraiment cédé trop facilement. Elle se disait, avec raison, que cette facilité cachait un piège. Et elle cherchait à éventer ce piège pour parer le coup, s’il n’était pas trop tard. Et, chose curieuse, l’idée ne lui venait pas que ce piège résidait dans cette condition « très juste et très naturelle » qu’elle avait posée. L’idée ne lui venait pas que Florence elle-même pouvait anéantir toutes ses espérances en refusant de la suivre. Tant il est vrai que les esprits les plus subtils se trouvent souvent en défaut devant des choses qui leur échappent par leur trop grande simplicité même.
Florence fut introduite. Marie de Médicis ne la regarda pas. Cependant elle la vit très bien. Et comme Fausta et Léonora elle admira la gracieuse aisance avec laquelle elle s’avançait, et saluait, l’air d’indicible dignité qui se voyait dans ses attitudes, la rayonnante franchise du regard. Elle admira, mais ne fut pas émue. Elle ne daigna pas lui adresser la parole. Et ce fut Fausta qui, sur un signe d’elle, parla :
– Mon enfant, dit-elle de cette voix douce et enveloppante qu’elle savait si bien prendre quand elle le voulait et au charme de laquelle il était si difficile de résister, je vous avais promis de vous attacher à ma personne. Vous avez peut-être pu croire que c’était là une promesse en l’air que j’avais oubliée. Je n’oublie jamais rien, et je tiens toujours, en temps et lieu, ce que j’ai promis. Le moment est venu de m’exécuter. Je le fais d’autant plus volontiers que vous me plaisez beaucoup. Faites votre révérence à Sa Majesté la reine, adressez vos adieux et vos remerciements à M me la maréchale d’Ancre et tenez-vous prête à me suivre. Je me charge, moi, de votre avenir. Et la dot que je veux vous faire sera telle que vous pourrez épouser l’homme de votre choix, si riche, si haut placé soit-il.
Comme on le voit, l’idée d’un refus effleurait si peu Fausta qu’elle ne se donnait même pas la peine de consulter la jeune fille, ainsi qu’elle aurait dû le faire. Elle lui disait tout bonnement de se tenir prête à la suivre, et elle estimait que cela devait suffire.
Cependant Florence répondait :
– C’est du plus profond de mon cœur que je remercie Votre Altesse de la bienveillance qu’elle daigne me témoigner. Mais…
Ce « mais » et l’inappréciable suspension qui le suivit suffirent à Fausta : instantanément elle comprit quelle avait été son erreur. Et, sans cesser de sourire, elle rugit dans son esprit :
« Voilà le piège que me tendait Léonora, et dans lequel j’ai donné tête baissée, sans rien voir ! »
Et tout haut, toujours souriante, toujours bienveillante, elle acheva pour la jeune fille :
– Mais vous préférez demeurer avec M me d’Ancre ?
D’une voix douce, mais ferme, sans hésiter, Florence répondit :
– Oui, madame.
Et, s’excusant :
– Pardonnez ma franchise, madame, mais je ne suis pas une ingrate, et vous penserez comme moi, je l’espère, que ce serait bien mal reconnaître les bontés dont elle m’a comblée que de la quitter ainsi. Je n’en suis pas moins profondément touchée de l’offre généreuse de Votre Altesse.
Fausta comprit qu’elle avait perdu la partie. Elle se garda bien d’insister. Bien que le coup qui l’atteignait fût sensible, pas un muscle de son visage ne bougea. Elle continua de montrer cet air enjoué qu’elle avait pris, et pas une ombre d’amertume ou de dépit ne vint troubler l’éclat souriant de son regard.
– N’en parlons plus, dit-elle simplement.
Bonne joueuse, elle se tourna vers Léonora et lui adressa un sourire et un signe de tête qui signifiait clairement :
« Bien joué ! »
Pendant qu’une certaine fixité dans le regard disait :
« J’aurai ma revanche. »
Léonora comprit à merveille ce langage muet. Mais elle demeura impénétrable et se garda bien d’y répondre.
Fidèle à un rôle qu’elle avait joué à la perfection jusque-là, Marie de Médicis, jouant le saisissement, s’écria :
– Comment, petite, vous refusez ! Savez-vous que c’est la fortune que vous refusez ? Savez-vous que M me de Sorrientès, à elle seule, est plus riche que le roi, moi
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