La Fin de Pardaillan
imprévue de Valvert : ce fut elle qui, la première, lui adressa la parole. Et de sa voix musicale, avec son sourire espiègle :
– J’étais si troublée, l’autre jour, que je n’ai pas su vous remercier comme il convenait, pour le signalé service que vous m’avez rendu. Pardonnez-moi, monsieur, et ne croyez pas que je suis une ingrate…
– Je vous en prie, madame, interrompit-il vivement en se découvrant, ne parlons pas de cela. J’espère que ce malotru que j’ai châtié comme il le méritait vous laisse tranquille maintenant.
– Pour le moment, oui, dit-elle en riant. C’est que vous l’avez fortement étrillé, et il ne doit pas être en état de se montrer dans la rue.
– S’il s’avise de recommencer, faites-moi l’honneur de m’en aviser et je vous réponds que cette fois sera la dernière, que ce drôle se permettra de manquer au respect que tout homme bien né doit à une femme, fit-il avec chaleur.
La glace se trouvait rompue. Elle, qui le voyait très respectueux, commençait à se rassurer sans doute, et se montrait très naturelle, nullement embarrassée, espiègle et souriante comme elle était de son naturel. Lui, s’émerveillait d’avoir pu lui parler sans gaucherie et sans trouble, comme il eût fait avec n’importe quelle autre femme. Il s’aperçut alors qu’il l’empêchait de passer. Il s’écarta vivement, s’excusa :
– Je vous demande pardon, je suis là comme une brute à vous barrer le passage.
– Oh ! le mal n’est pas grand, et je ne suis pas si pressée, dit-elle. Et elle se mit à rire, d’un joli rire clair, franc, bien perlé, un peu malicieux. Elle riait de sa mine confuse et de la vivacité avec laquelle il s’était injurié lui-même. Il le comprit très bien. Il se mit à rire comme elle, avec elle. Et comme, maintenant que la porte était dégagée, elle ne se pressait pas de passer, il s’informa très naturellement :
– C’est donc vous qui fleurissez l’hôtel ?
– Oui, depuis quelques jours, dit-elle simplement.
Et elle expliqua :
– J’ai eu la chance d’être aperçue par M me la duchesse comme je vendais mes fleurs dans la rue. Comme une bonne bourgeoise, elle m’a abordée, m’a pris quelques fleurs qu’elle m’a royalement payées, et, sans morgue, avec une simplicité, une bonté, qui m’ont été droit au cœur, elle est restée un long moment à causer avec moi. J’ai eu le bonheur de lui plaire, à ce qu’il paraît, elle m’a demandé si je voulais entrer à son service. Je lui ai répondu, en toute franchise, que j’aimais mon métier qui me permettait de vivre indépendante, et que je ne voulais pas le quitter. Elle m’a très bien comprise. Elle m’a approuvée. Et elle m’a demandé de venir tous les jours, vers cette heure-ci, lui apporter quelques fleurs et les disposer dans son oratoire et son cabinet. C’est incroyable, qu’une si grande dame, devant qui on éprouve un respect si profond qu’il va jusqu’à la crainte, puisse montrer tant de bonté de cœur, tant de délicate générosité. Croiriez-vous qu’elle me donne deux pièces d’or pour des fleurs, sur lesquelles je réaliserais un assez joli bénéfice, en les vendant seulement une livre. Je le lui ai dit, monsieur, car je suis honnête. Savez-vous ce qu’elle m’a répondu ?
– J’attends que vous me fassiez l’honneur de me le dire, fit Valvert, qui était aux anges et qui eût voulu que ce babillage naïf ne cessât jamais.
– Elle m’a répondu que mes fleurs seraient, en effet, bien payées une livre. Mais que le goût avec lequel j’arrangeais ces fleurs chez elle valait bien, à lui seul, les deux pistoles qu’elle me donnait.
– Elle a raison, déclara Valvert avec conviction. J’ai vu vos bouquets et j’ai admiré l’art consommé du fleuriste qui les avait faits. J’étais loin de me douter que ce fleuriste c’était vous. J’aurais dû m’en douter cependant.
Ce fut à son tour d’interroger, peut-être pour détourner les compliments :
– Vous êtes donc au service de M me la duchesse ?
Et, avec un coup d’œil malicieux à son magnifique costume :
– Depuis peu ?
– Depuis ce matin, fit Valvert en rougissant de plaisir, car il avait surpris le coup d’œil.
– Je me réjouis de tout mon cœur pour vous, monsieur. Vous avez là une maîtresse incomparable, tout à fait digne d’un homme de cœur tel que vous.
La porte venait de s’ouvrir. Elle lui
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