La Fin de Pardaillan
Valvert avec eux – comprenaient ce que cela voulait dire, s’écartaient discrètement, entamaient des conversations à voix basse entre eux, évitaient même de regarder de ce côté. Si bien que la duchesse était seule à entendre les confidences de Brin de Muguet qui, on peut le croire, ne les eût pas faites si tout le monde avait pu les entendre.
Car, chose remarquable, qui émerveillait Valvert, stupéfiait les gentilshommes et faisait pâlir de dépit les femmes présentes de la duchesse – toutes d’excellente noblesse – cette fille, d’humble condition, qui ne se connaissait ni père ni mère, dans ce somptueux salon, devant cette souveraine, parmi cette noble assistance, se montrait aussi à son aise que si elle avait été chez elle : dans la rue. Et plus d’une qui jalousait sa radieuse jeunesse, son charme et sa beauté, se prenait à envier son tact parfait, la distinction naturelle de ses manières, la noblesse de ses attitudes, si bien que, n’eût été le costume, on l’eût prise pour une dame de bonne compagnie en visite chez d’autres dames.
La semaine s’écoula ainsi. Les soupçons vagues de Valvert s’étaient évanouis – ou assoupis. Ainsi qu’il se l’était promis, durant ces cinq jours, il se tint constamment l’esprit en éveil, attentif à tout, même aux choses les plus simples, les plus banales en apparence. Il ne découvrit rien de suspect. La vie de la duchesse semblait se dérouler au grand jour, régulière et monotone, remplie par des audiences qu’elle accordait à d’innombrables solliciteurs, par quelques rares visites qu’elle fit, et surtout occupée en bonnes œuvres. Quant à son service, il était de tout point ce qu’il eût été s’il avait appartenu à M. de Guise, au prince de Condé ou au roi. Moins mouvementé même, car au service des princes, qui s’agitaient tous plus ou moins, les expéditions ne lui eussent déjà pas manqué, tandis que, au service de la duchesse, il en était encore à attendre une de ces expéditions.
Ses soupçons se trouvaient donc endormis, ses préventions vagues contre sa maîtresse disparaissaient. Il est certain que l’admirable conduite de la duchesse envers celle qu’il aimait était pour beaucoup dans le revirement qui s’opérait en lui. Comment soupçonner, et de quoi soupçonner une femme qui se montrait si bonne et si généreuse envers tout le monde ? Car, enfin, c’était une chose qu’il avait pu constater cent fois depuis le peu de temps qu’il faisait partie de la maison : pas une infortune n’avait fait en vain appel à la charité de la duchesse. Cette femme avait toujours la main ouverte pour donner. Puis, et de ceci il ne se rendait peut-être pas compte, il subissait, comme tous ceux de son entourage, le charme particulier que cette femme extraordinaire exerçait sur tous ceux qui l’approchaient, et elle était en train de prendre sur lui le même ascendant prodigieux qu’elle imposait à tous, grands et petits. Tout doucement, sans s’en apercevoir, il devenait un fanatique, comme d’Albaran, de cette duchesse de Sorrientès, au service de laquelle il avait hésité à entrer, malgré les conditions éblouissantes qu’elle lui faisait.
Maintenant, ce changement qui se faisait en lui s’opérait-il à l’insu de la duchesse et sans qu’elle y fût pour rien, ou bien était-il le fait de sa volonté réfléchie ?
La duchesse n’était pas femme à trahir ses sentiments ou ses intentions. Incontestablement, et depuis fort longtemps, elle avait appris à montrer un visage impénétrable ou à ne laisser voir que les sentiments qu’il lui plaisait de faire croire qu’elle avait. Cependant, si nous nous en rapportons à de certains regards qu’elle fixait sur lui parfois, nous ne croyons pas nous tromper en disant que, pour des raisons connues d’elle seule, elle suivait à son égard – ainsi qu’à l’égard de Brin de Muguet, fille de Concini – un plan mûrement réfléchi et exécuté avec une patiente ténacité que rien ne pouvait rebuter, et une habileté qui tenait du prodige.
Oui, assurément, c’était elle qui avait voulu gagner la confiance et l’affection de la « fille de Concini ». Elle y avait pleinement réussi. Elle qui avait voulu pareillement gagner la confiance de Valvert et, de plus, son dévouement : un dévouement aveugle, absolu, ne reculant devant aucun sacrifice. Elle n’en était pas encore là, mais elle sentait qu’elle
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