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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tracy Chevalier
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pas le déranger car il était avec le modèle. C’est du moins
ce qu’il me dit. Peut-être se rendait-il compte que Maria Thins, Catharina,
Tanneke ou Cornelia seraient intriguées de me voir monter à l’atelier à un
moment inhabituel.
    Ce n’était pas une maison où il
était aisé de garder un secret.
    Une autre fois, il m’envoya
demander au boucher une vessie de porc. Je ne compris la raison de sa requête
que le jour où il me demanda de préparer chaque matin, lorsque j’aurais terminé
le ménage, les peintures dont il aurait besoin plus tard. Ouvrant les tiroirs
du bahut à côté de son chevalet, il me montra les peintures qui y étaient
rangées et m’en donna les noms. Outremer, vermillon, massicot, beaucoup de ces
termes m’étaient inconnus. Les couleurs minérales, tirant sur le brun et le
jaune, le noir animal et le blanc de céruse, étaient conservées dans de petits
pots en terre cuite, recouverts de parchemin afin de les empêcher de se
dessécher. Les couleurs les plus précieuses, bleus, rouges et jaunes, étaient
conservées en petites quantités dans des vessies de porc.
    Un trou que rebouchait un petit
clou permettait d’en exprimer la peinture.
    Un matin, il entra alors que je
faisais le ménage et me demanda de remplacer la fille du boulanger, souffrante.
« J’aimerais regarder un moment expliqua-t-il. Quelqu’un doit se tenir à cet
endroit.
    Docile, je la remplaçai, une
main posée sur l’anse de l’aiguière, l’autre sur la fenêtre entrouverte de
sorte qu’un courant d’air glacial m’effleurait le visage et la poitrine.
    Voilà peut-être pourquoi la
fille du boulanger est malade, pensai-je…
    Il avait ouvert tous les
volets, jamais la pièce ne m’avait paru aussi lumineuse.
    « Baissez votre menton,
dit-il. Et regardez en bas, ne me regardez pas moi. Oui, comme ça. Ne bougez
pas. »
    Il était assis à côté du
chevalet. Il ne prit ni sa palette, ni son couteau, ni ses pinceaux, mais il
resta là, les mains sur les genoux, à regarder.
    Je rougis. Je ne m’étais pas
rendu compte qu’il me fixerait avec une telle intensité.
    Je m’efforçai de penser à autre
chose. Je suivis des yeux par la fenêtre un chaland sur le canal, l’homme qui
le guidait était celui qui m’avait aidé à récupérer le broc tombé dans le canal
lors de mon premier jour chez eux. Comme les choses avaient changé depuis ce
matin-là ! Dire qu’à l’époque je n’avais même pas vu un de ses tableaux et
que maintenant je figurais dans l’un d’eux…
    « Ne regardez pas ce que
vous regardez, dit-il. Je vois sur votre visage que cela vous distrait. »
    Je m’efforçai de ne rien
regarder et de penser à d’autres choses. Je pensai à ce jour où nous étions
allés en famille cueillir des herbes à la campagne. Je pensai à cette pendaison
dont j’avais été témoin, l’an passé, sur la place du Marché : une femme
qui, en état d’ivresse, avait tué sa fille. Je pensai à l’expression sur le
visage d’Agnès la dernière fois que je l’avais vue.
    « Vous pensez trop »,
me dit-il, en changeant de position sur son tabouret. J’eus l’impression
d’avoir lavé un baquet de draps, en vain, hélas, car ils n’étaient pas
ressortis propres. « Je vous demande pardon, Monsieur, je ne sais que faire.
    — Essayez de fermer les
yeux. »
    Je les fermai. Au bout d’un
moment, j’eus la sensation que le cadre de la fenêtre que je tenais d’une main
et l’aiguière que je tenais de l’autre me stabilisaient. Je sentis ensuite le
mur derrière moi, la table à ma gauche et l’air frais entrant par la fenêtre.
    Ce doit être ainsi que mon père
perçoit ce qui l’entoure, et qu’il parvient à se repérer, me dis-je.
    « Bien, dit-il. Ça va.
Merci, Griet. Vous pouvez achever le ménage. »
    Je n’avais jamais assisté à la
naissance d’un tableau. Je m’imaginais que l’artiste peignait ce qu’il voyait
en se servant des couleurs qu’il voyait.
    Il me montra.
    Il commença le tableau de la
fille du boulanger par une couche de gris pâle sur la toile blanche qu’il
parsema ensuite de taches roussâtres afin d’indiquer l’emplacement de la jeune
femme, de la table, de l’aiguière, de la fenêtre et de la carte. Je crus alors
qu’il allait peindre ce qu’il voyait, à savoir un visage déjeune femme, une
jupe bleue, un corselet jaune et noir, une carte marron, une aiguière et un
bassin en argent, un mur blanc. Au lieu de cela,

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