La Liste De Schindler
type ne s’était jamais produite et ne se produirait jamais plus dans cette Europe mutilée. Jamais un groupe de déportés à Auschwitz n’aura été sauvé de cette façon-là.
On amena les femmes dans un dortoir tapissé de paille. Les lits de camp n’étaient pas encore arrivés. Une SS leur servit un bol de soupe épaisse où nageaient quelques morceaux de viande. Le fumet qui s’en dégageait leur rappelait la promesse d’Oskar : « Ici, vous n’avez plus rien à craindre. »
Mais elles ne pouvaient pas toucher leurs hommes : leur dortoir était en quarantaine. Même Oskar, après consultation avec l’équipe médicale, se méfiait de ce qu’elles avaient pu ramener d’Auschwitz.
Il y avait pourtant quelques failles dans le système de quarantaine : une brique descellée au-dessus du lit de camp du jeune Moshe Bejski permettait un échange de messages qui fonctionna de manière ininterrompue pendant les premiers jours. Les latrines des femmes disposaient d’un petit trou d’aération qui donnait en haut d’un mur des ateliers. Pfefferberg empila des caisses et aménagea une niche qui permettait à un homme de s’asseoir et de communiquer. Enfin, la barrière de barbelés qui coupait en deux le balcon attenant aux dortoirs n’empêchait pas les groupes de se former de part et d’autre. Les prisonniers s’amusaient beaucoup des conversations qu’échangeaient à cet endroit les vieux Jereth.
— Etes-vous allée à la selle aujourd’hui, ma mie ? s’inquiétait M. Jereth dont l’épouse était à peine remise des crises de colique dont la plupart des prisonnières avaient été frappées à Birkenau.
Tout le monde craignait le dispensaire et personne ne voulait y aller. Le souvenir de Plaszow et des traitements à l’essence infligés par le Dr Blancke aux mourants était encore dans toutes les mémoires. Même ici, on ne pouvait pas écarter la possibilité d’une inspection éclair du type de celle qui avait valu aux enfants de se retrouver à Auschwitz. Les circulaires concoctées à Oranienburg étaient très claires : aucun malade gravement atteint ne devait séjourner dans les dispensaires de ces camps de travail dont la seule fonction était de procurer une main-d’œuvre d’esclaves. Il n’empêche. Le dispensaire de Brinnlitz était rempli de femmes. Janka Feigenbaum, la jeune fille atteinte de cancer, était là. Sans doute allait-elle mourir, mais au moins mourrait-elle au milieu des siens. Mme Dresner et une bonne douzaine d’autres prisonnières, incapables d’avaler quoi que ce soit sans le régurgiter, se trouvaient également dans le dispensaire. Lusia et deux autres jeunes filles atteintes de scarlatine avaient été mises à l’écart dans la chaufferie du sous-sol. Au moins, là, il faisait bon.
Emilie s’affairait dans le dispensaire avec toute l’efficacité et la discrétion d’une nonne. Les prisonniers qui démontaient les machines de Hoffman pour les entreposer dans un abri situé à quelque distance ne remarquaient même pas ses allers et retours. « C’était, dira l’un d’entre eux, une épouse soumise et effacée. » En fait, tous ceux qui n’étaient pas au dispensaire n’avaient d’yeux que pour leur héros providentiel : Oskar le Magnifique.
Oskar, il est vrai, avait des attentions touchantes. Un soir qu’il était venu dans l’atelier des tours où travaillait l’équipe de nuit, il avait remis à Manci Rosner le violon de Henry. Il l’avait récupéré dans un entrepôt de Gröss-Rosen un jour où il était allé voir Hassebroeck. Cela lui avait coûté cent Reichsmark. En lui tendant l’instrument, il lui avait souri d’une manière qui semblait dire : « Voilà déjà le violon, mais vous verrez, le mari, ce sera pour bientôt. »
De tels gestes pouvaient faire oublier que derrière Herr Direktor, il y avait aussi une femme. Les malades, elles, ne l’oubliaient pas, car Emilie était bien présente parmi elles. Elle les nourrissait de semoule qu’elle avait trouvée Dieu sait où et qu’elle préparait dans sa cuisine avant de l’envoyer à la Krankenstube. Le Dr Alexander Biberstein pensait que Mme Dresner n’avait plus que quelques jours à vivre. Emilie la nourrit elle-même de semoule pendant sept jours consécutifs. La dysenterie finit par être vaincue. L’exemple de Mme Dresner semblait bien confirmer ce qu’avait dit Mila Pfefferberg : si Oskar ne les avait pas tirées de Birkenau, la plupart
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