La Liste De Schindler
ouvriers se mirent à siffler, d’autres témoignèrent leur mépris en crachant à terre. Les femmes qui tricotaient levaient leur ouvrage dans un geste de défi. Manifestement, il y avait de la vengeance dans l’air. Et Amon le savait. Ces gens qu’il avait terrorisés étaient encore là, bien vivants. Et ils lui signifiaient leur mépris.
Si Goeth voulait trouver un travail à Brinnlitz – le seul endroit sans doute où un Hauptsturmführer sous surveillance aurait pu envisager de se refaire une santé –, il en fut pour ses frais. Comment Oskar s’y prit-il? Peut-être par la seule magie de son verbe. Peut-être en le payant. La vieille méthode, quoi ! Herr Direktor, par courtoisie, tint à faire visiter son usine à Amon. Dans les ateliers, les réactions devenaient franchement hostiles, au point qu’Amon demanda à Oskar de punir les prisonniers pour manque de respect. Herr Direktor murmura qu’il ne manquerait pas de prendre des sanctions et exprima la haute estime dans laquelle il tenait Herr Goeth.
Les SS n’avaient pas refermé entièrement le dossier. Un juge du tribunal SS était même venu à Brinnlitz quelques semaines auparavant pour interroger Mietek Pemper sur les activités de gestion de son ancien patron. Avant que ne débute l’interrogatoire, Liepold avait averti Pemper de se montrer prudent. « Le juge vous expédiera à Dachau pour être exécuté quand il vous aura tiré les vers du nez », avait-il dit en guise d’explication. Pemper, très prudemment, avait tout fait pour convaincre le juge qu’il n’avait eu que des fonctions très subalternes à Plaszow.
Amon savait que Pemper avait été appelé à témoigner sur son cas. Aussi essaya-t-il de le coincer pour tenter d’en savoir plus. Il était évidemment furibard de constater qu’un de ses anciens prisonniers puisse témoigner contre lui devant un tribunal SS. Pemper en était conscient. Il avait devant lui un homme fatigué, désabusé, désormais impuissant, et portant sur son visage un masque lugubre qui s’harmonisait parfaitement avec son uniforme miteux. Mais allez donc savoir? Est-ce que sa véritable nature n’allait pas resurgir ?
— Le juge m’a averti de ne parler en aucun cas ni à qui que ce soit de mon interrogatoire, dit Pemper.
Amon, furieux, menaça de dénoncer à Herr Schindler son comportement. C’était, en fait, un aveu d’impuissance. Il n’avait jamais demandé auparavant à Oskar la permission de châtier qui que ce soit.
Le surlendemain de l’arrivée d’Amon, les femmes affichaient un petit air de triomphe. Elles savaient qu’il ne pouvait plus rien leur faire. Elles réussirent même à en persuader Helena Hirsch. Pas suffisamment, cependant, pour éviter des nuits agitées à l’ancienne esclave de Goeth.
La dernière fois que les prisonniers virent Amon, on l’emmenait en voiture à la gare de Zwittau. Jamais, jusqu’ici, une de ses visites ne s’était terminée sans que le sol s’effondre sous les pieds d’un pauvre couillon. Il était clair, désormais, qu’il n’avait plus aucun pouvoir. Et pourtant, un bon nombre de prisonniers n’osèrent pas le regarder en face au moment de son départ. Trente ans plus tard, Amon hanterait encore les nuits des survivants de Plaszow. De Buenos Aires à Sydney, de New York à Cracovie, de Los Angeles à Jérusalem, des hommes se réveilleraient encore avec des sueurs froides. « Quand vous voyiez Goeth, dira Poldek Pfefferberg, vous voyiez la mort. »
Amon aurait sans doute aimé voir figurer cette épitaphe sur sa tombe.
CHAPITRE 37
Tous les prisonniers avaient voulu participer à la célébration du trente-septième anniversaire d’Oskar. Un métallo lui avait confectionné un petit coffret à bijoux. Niusia Horowitz, âgée de douze ans, avait répété longuement la phrase en allemand qu’elle allait lui servir lorsqu’il se présenterait dans les ateliers :
— Herr Direktor, dit-elle d’une voix intimidée, tous les prisonniers vous souhaitent beaucoup de bonheur à l’occasion de vos trente-sept ans.
C’était le jour de sabbat, et ça tombait bien. Tous les prisonniers se rappelleront ce sabbat-là. Oskar avait débuté les festivités au petit matin en buvant avec quelques amis un excellent cognac, et en se pâmant d’aise au reçu du télégramme qui lui reprochait les qualités douteuses de ses produits. Il avait réussi à se procurer une énorme quantité de pain blanc qui avait été
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