La Liste De Schindler
avaient une revanche à prendre sur les bourgeois intellectuels qui les prenaient pour ce qu’ils étaient, alla bientôt au-delà de ce qu’on exigeait d’elle. Spira et ses amis, Szymon Spitz, Marcel Zellinger, Ignacy Diamond, David Gutter, Forster, Grimer et Landau se rendirent bientôt coupables de nombreuses exactions et dressèrent pour les SS des listes de juifs qu’ils jugeaient séditieux ou dont la tête ne leur revenait pas.
Poldek Pfefferberg voulait désormais démissionner. Une rumeur circulait comme quoi les OD devraient faire serment d’allégeance au Führer, après quoi ils seraient tenus à tout moment d’exécuter les ordres sans broncher. Poldek ne voulait surtout pas qu’on pût l’associer avec des canailles du type Spira, Spitz ou Zellinger. Il se rendit à l’hôpital au coin de la rue Wegierska pour s’entretenir avec le médecin attaché au Judenrat, le Dr Alexander Biberstein. Marek, le frère du médecin, qui avait été le premier président du conseil, moisissait à ce moment-là dans la prison de Montelupich pour violation des règlements sur les monnaies et tentative de corruption de fonctionnaire.
Pfefferberg supplia Biberstein de lui établir un certificat médical qui lui permettrait de quitter l’OD. Difficile, jugea le médecin, car Pfefferberg n’avait pas du tout l’air souffrant. Il lui serait pratiquement impossible de feindre une pression sanguine anormale. Le médecin lui décrivit en détail les symptômes du mal de dos. Le lendemain, Pfefferberg se présenta au travail à moitié cassé en deux et appuyé sur une canne.
Spira était furieux. Quand Pfefferberg lui avait demandé pour la première fois de quitter l’OD, le chef de la police avait pompeusement déclaré qu’on ne quittait ce corps d’élite que les pieds devant. A l’intérieur du ghetto, Spira et ses acolytes jouaient les prétoriens. Ils étaient la « Légion étrangère ».
— On va vous envoyer voir le médecin de la Gestapo, hurlait Spira.
Biberstein avait bien fait la leçon au jeune Pfefferberg. Poldek passa brillamment la visite devant le médecin de la Gestapo et fut révoqué de l’OD pour cause de troubles physiques incompatibles avec l’efficacité requise au cours d’opérations de contrôle de la foule. En disant au revoir à Spira, Pfefferberg lut sur le visage de son supérieur que celui-ci n’était pas près de lui pardonner.
Le jour suivant, l’Allemagne envahissait l’U.R.S.S. Oskar apprit la nouvelle sur les ondes interdites de la B.B.C. Il sut immédiatement que le projet Madagascar était à l’eau. Il faudrait des années avant qu’on puisse trouver les navires nécessaires pour ce type de solution. Oskar pressentait que cet événement allait modifier considérablement le comportement des SS. Partout, désormais, les économistes, les ingénieurs, les planificateurs, les policiers de tout acabit allaient devoir se faire à l’idée d’une guerre longue, mais aussi à l’édification d’un empire racialement pur.
CHAPITRE 11
« Usine allemande de fabrication de caisses », c’était le nom d’un petit établissement industriel dont l’arrière jouxtait l’usine de Schindler. Oskar, toujours friand de compagnie, allait de temps à autre rendre visite à son voisin, Ernst Kuhnpast, l’administrateur allemand, ou à Szymon Jereth, l’ancien propriétaire de l’usine, qui assumait encore les fonctions de directeur sans en avoir le titre. La fabrique de caisses Jereth était devenue l’Usine allemande de fabrication de caisses deux ans auparavant suivant le processus habituel : pas de compensations, aucun échange légal de titres.
L’injustice de cette mainmise ne préoccupait plus Jereth outre mesure. La plupart des gens qu’il connaissait avaient subi le même sort. Ce qu’il avait du mal à tolérer, c’était le ghetto : les bagarres dans les cuisines, la puanteur, les poux que vous attrapiez simplement en effleurant dans les escaliers le blouson crasseux de votre voisin de palier. Mme Jereth, avait-il dit à Oskar, était profondément déprimée. Originaire d’une famille aisée de Klepartz, au nord de Cracovie, elle avait toujours vécu dans une atmosphère bourgeoise. « Quand je pense, disait-il, qu’avec tous ces mètres cubes de sapin, je pourrais me construire là un gentil petit endroit…» Là, c’était le terrain vague derrière son usine. Les ouvriers jouaient au football sur cet immense espace vide, dont
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