La mort bleue
résolutionâ¦
â Nous serons là , répondit Ãlisabeth, du ton de celle qui se montrerait déterminée pour deux.
3
Un peu plus tard, pendant le dîner, Thomas demeurait silencieux. De sa voix douce, Ãvelyne voulut sâinformer avec son habituelle sollicitude :
â Vous êtes allé voir le docteur Hamelin aujourdâhui.
Jâespère que vous vous portez bien.
â Merveilleusement bien. Jâai appris que jâétais vieux. Si vieux que je devrai me contenter désormais de regarder lâherbe pousser.
â Thomas exagère un peu. Il devra seulement faire un peu attention à lui et prendre des vacances à la campagne.
Cette perspective ne parut pas tellement catastrophique à la jeune femme. Son propre père, désespérant de se voir nommer juge par un gouvernement conservateur, apprenait à se passionner pour la culture des roses. Lors du dîner de la veille, la supériorité du fumier de mouton sur les autres avait mobilisé toute la conversation.
â Je le trouve très gentil, reprit-elle en évoquant le médecin, réellement affable, capable dâun grand tact. Vous savez, pendant une grossesse, certains moments sont un peu⦠gênants.
â De mon côté, je considère que ses doigts sont vraiment trop gros. En conséquence, je demeure moins sensible à son affabilité.
Lâétrangeté de la réponse la laissa sans voix. Un peu plus tard, Ãvelyne prit prétexte dâun vagissement de Thomas Junior pour quitter la table avant le dessert. Ãlisabeth fronça les sourcils pendant tout le reste du repas, puis décréta au moment de se verser une dernière tasse de thé :
â Nous allons dans la bibliothèque.
Son mari lui emboîta le pas. Un moment, il sâarrêta devant une petite armoire et confessa :
â Jâaurais besoin dâun cognac bien tassé.
â Je te lâinterdis absolument!
Le ton impératif ne tolérait aucune réplique : il vint sâasseoir dans lâun des fauteuils placés près de la cheminée. Ãlisabeth demanda, après un moment de silence :
â Pour faire une tête pareille, je suppose que le médecin a dû tâapprendre quelque chose en secret, avant de venir me chercher dans la salle dâattente.
â Mais non. Tu as tout entendu. Mon étourdissement, câest un problème cardiaque. Je dois me coller à cette cheminée, placer une couverture sur mes jambes et boire de la tisane. Il manque juste un chat pour me tenir compagnie.
â Câest une façon de voir les choses. Moi, je me souviens surtout de conseils bien raisonnables : cesser de brûler la chandelle par les deux bouts, te reposer, prendre soin de toi.
â Tout ce que je fais, câest pourvoir aux besoins de ma famille.
â En plus de te mêler à toutes les magouilles politiques. Quand je tâai connu, tu te passionnais pour les élections fédérales. Puis tu as pris une part active dans lâascension de Lomer Gouin au poste de premier ministre de la province. Plus récemment, le souvenir dâavoir défié les émeutiers avec Lavigueur semble te faire rêver dâaccéder à la mairie. Tu occupes deux emplois depuis des années.
Cette description des faits correspondait à la réalité, Thomas devait en convenir.
â En te limitant au commerce, tu réduirais la durée de ta semaine de travail de moitié. Pourtant, tu demeurerais encore plus actif que la plupart de tes voisins.
â Ou bien, si je ne conservais que la politique?⦠Si Ãdouard sâoccupait du commerce, ce serait possible.
Ãlisabeth lui adressa un sourire au-dessus de sa tasse de thé.
â Aimerais-tu te faire élire?
â Non, je ne suis pas assez bon comédien. Mais Wilfrid aurait dû me nommer au sénat. Remarque, je ne le lui ai pas demandé⦠mais il ne me lâa pas offert non plus. Cela mâaurait permis de continuer à tirer les ficelles, en profitant dâune sinécure. Maintenant, cela nâarrivera plus. Borden se trouvera au pouvoir au moins jusquâen 1921.
â Tu es encore jeuneâ¦
La grimace de son époux lâarrêta. Soucieuse, elle insista :
â Quâest-ce que le médecin tâa dit?
â Rien de plus quâà toi.
Devant la mine
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