La mort bleue
de même, le commerçant perdait un peu de sa propension à voir la vie en noir. Sa condition sâaméliorait, il se permettait de passer de longues journées avec la plus jolie femme de la ville. Lâavenir paraissait de nouveau souriant.
â Viens ici, au lieu de jouer à la maman avec moi.
Il écarta son bras droit de son corps. Ãlisabeth regarda tout autour, ne constata la présence dâaucun espion. Elle sâétendit finalement contre lui sur la couverture, posa la tête au creux de son épaule, la main sur sa poitrine.
â Tu vois, juste pour continuer de vivre cela, je suis prêt à maigrir au point dâavoir la peau du ventre collé à celle du dos.
â Mais tu as encore beaucoup de chemin à faire.
En même temps, elle lui pinça le flanc. Tout de même, elle reçut ces mots comme une fort jolie déclaration dâamour.
4
Ãvelyne avait accueilli avec plaisir la nouvelle de lâexpédition à la campagne de ses beaux-parents. Sans tarder, elle avait téléphoné à sa belle-sÅur Eugénie afin de décommander le dîner dominical qui les réunissait deux fois par mois, plaidant des « obligations familiales ».
Pourtant, au retour de la messe, la morosité de son époux gâcha un peu son bonheur. Seuls dans la salle à manger, de part et dâautre de la grande table, elle mesura combien ils avaient peu à se dire. Pendant tout le premier service, la conversation se limita à des monosyllabes. à lâarrivée du second, elle demanda :
â Hier, tu as mis toute la journée pour aller à Saint-Paul-de-Montmagny et en revenir?
â En automobile, cela représente une jolie performance. Heureusement, je nâai subi quâune seule crevaison, au retour.
â Les gens ont-ils vraiment envahi lâédifice municipal pour voler les fiches?
â Et les brûler ensuite dans un petit parc. Tu le sais bien, tu étais là quand jâai tout raconté à papa.
Cela faisait partie de son malheur : Ãdouard sâadressait à ses parents, jamais à son épouse. Bavard pendant les repas ou installé dans le salon avec eux, un verre à la main, son compagnon devenait silencieux, ou du moins bien discret, au moment de monter dans la chambre avec elle. Après un silence, elle prit sur elle dâessayer de relancer la conversation :
â Tu parais satisfait de la façon dont les choses évoluent au magasin.
â Il y a encore de la place pour lâamélioration. Les chefs des rayons nâont pas encore compris que mon père entend se décharger sur moi de certaines de ses responsabilités. Certains ont osé me répondre, au moment où je demandais des comptes : « Je verrai cela au retour de monsieur Picard.» Pour eux, le vieux a pris ses vacances annuelles un peu plus tôt que dâhabitude. Ils entendent reprendre bien vite leur vieille routine.
â Ils comprendront, maintenant.
Pendant deux semaines, le jeune homme avait craint une volte-face de son père, au moment de son retour. Heureusement, Ãlisabeth paraissait très déterminée à le garder loin du magasin. Une fois encore, sa jolie belle-mère devenait sa principale alliée.
â Mais ce sera long, nuança-t-il. Pour eux, il y a monsieur Picard, et monsieur Ãdouard. Aussi longtemps que le premier ne sera pas un peu oublié, je continuerai dâêtre désigné par mon prénom.
Elle exprima sa compréhension dâun signe de la tête. Son frère, avocat comme son père, vivait exactement la même situation. Lâun comme lâautre sâexposerait encore, le jour de ses soixante ans, à voir son nom être précédé des mots « le jeune ».
â Enfin, papa doit me parler demain de ma nouvelle rémunération. Je mesurerai alors la véritable étendue de son sérieux.
â Nous nâavons besoin de rien, iciâ¦
Ãvelyne désigna la vaste maison dâun geste de la main.
â Sauf dâune maison bien à nous, grommela Ãdouard. Une bouffée de bonheur envahit la jeune femme. Vivre chez elle, seule avec son mari et son fils! Elle nâaspirait à rien dâautre.
â Bien sûr, à court terme, ce serait ridicule, continua lâhomme. Les prix sont tellement exagérés. Mais au moins, si la
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