La mort bleue
*
Quelques heures plus tard, le souper se déroula dans une atmosphère fort agréable. Dâun côté, Ãvelyne semblait déterminée à considérer une promenade sous les arbres comme un nouveau départ de sa vie conjugale. De lâautre, Thomas et Ãlisabeth affichaient des airs de nouveaux mariés. Au moment du dessert, Thomas se crut autorisé à demander :
â Patron, comme jâai été un convalescent très sage, pourrais-je aller au bureau demain?
Ses yeux ne se portaient pas sur le directeur du grand magasin, mais sur son épouse.
â Crois-tu que ce soit vraiment nécessaire? demanda la femme, hésitante.
â Tout de même, je dois voir ce qui se passe dans cette entreprise. Je continue dâen être le propriétaire. Puis ce garçon-là meurt sans doute dâenvie de connaître sa nouvelle rémunération.
Du doigt, il désignait son fils. Celui-ci acquiesça de la tête.
â Câest vrai, jâaimerais cela. Jâespère quâelle sera généreuse et rétroactive pour les deux dernières semaines.
â Considère plutôt cela comme ta période dâessai. Un apprentissageâ¦
â Un autre apprentissage? Cela ne finira jamais!
Thomas gardait les yeux sur son épouse. Celle-ci accepta finalement :
â Tu pourras y aller demain et, si tu es très sage, tu iras de nouveau une autre journée, plus tard cette semaine.
â Merci patron, conclut-il avec un clin dâÅil.
Après le souper, la soirée sâécoula lentement. Une tasse de thé tiède à portée de la main, Thomas loucha plusieurs fois en direction de lâarmoire à boisson. Si les choses ne changeaient pas bientôt pour lui, la réserve de cognac amassée pour faire face à la prohibition durerait pendant des années. Afin de se donner de meilleures chances de réaliser un autre projet, il préféra se tenir coi.
* * *
Peu avant dix heures, au moment où les rideaux sâassombrissaient tout à fait dans la chambre à coucher, il se trouvait étendu dans le lit conjugal. Ãlisabeth revint de la salle dâeau, fort séduisante dans sa chemise de nuit toute blanche, largement soulignée de dentelle, confectionnée de lin fin. Quand elle prit place près de lui, il murmura :
â Tu sais, je pense que tu es plus belle que le jour de notre première rencontre, il y a un peu plus de vingt-deux ans.
Elle jeta un regard amusé sur son compagnon, bien certaine de lâorientation prochaine de la conversation :
â Nous irons voir un opticien, ta vue baisse, si tu trouves une femme de quarante ans plus belle quâà ses dix-huit ans.
â Jâapporterai une ancienne photographie de toi : il me donnera raison sans hésiter.
La main de lâhomme caressa la lourde chevelure dâun blond foncé, aux teintes vieil or dès que le soleil la touchait. Un examen attentif permettait de repérer quelques fils argentés, tout au plus. Au moment où sa bouche trouvait lâautre bouche, les doigts sâaventurèrent sur la poitrine, soupesèrent un sein rond, bien dessiné par le tissu de la chemise de nuit.
â Je ne sais pas si câest une bonne idée, dit-elle à voix basse.
â Je ne mange presque plus, je nâai pas bu une goutte de cognac depuis deux semaines. Le médecin a confirmé que tout va bienâ¦
â Le docteur Hamelin a dit que tu te portais mieux. Toutefois, il a aussi souligné lâimportance de prendre soin de toi, dâéviter de trop grandes fatigues et des émotions fortes.
De sa main, elle saisit les doigts vagabonds, les porta à ses lèvres pour les embrasser. La caresse de la bouche sur sa peau ne réduisit en rien les appétits de son époux.
â Voyons, «cela » ne se compare pas à une longue journée au magasin, ou à une interminable campagne électorale.
â Tu sais combien jâaimerais aussi. Mais je ne prendrai pas le risque de nuire à ta santé. Auparavant, il faudra avoir la permission du médecin.
â La permission? Il faut maintenant recevoir lâautorisation du docteur, après celle du curé? Nous sommes mariés depuis plus de vingt ans.
Thomas élevait un peu la voix, au point où sa femme posa sa paume sur sa bouche.
â Chut! Nous ne sommes pas
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