La parfaite Lumiere
embauchée. Je suppose qu’elle m’a
coûté quelques frais de voyage, mais pas assez pour me tracasser. Tant pis pour
elle. Partons.
Il se mit à houspiller sa troupe
pour la faire avancer. Même s’il fallait pour cela voyager après la tombée de
la nuit, il voulait arriver dans la journée à Hachiōji. S’ils pouvaient
aller jusque-là avant de faire halte, ils pourraient se trouver à Edo le lendemain.
Un peu plus loin, ils
rencontrèrent Akemi.
— Où donc étais-tu
passée ? demanda Onao, irritée. Tu ne peux pas aller te promener comme
cela sans dire à personne où tu vas. A moins, bien sûr, que tu n’aies
l’intention de nous quitter.
Et la vieille raconta
vertueusement combien tout le monde avait été inquiet à son sujet.
— Vous ne comprenez pas,
répondit Akemi chez qui cette mercuriale ne provoquait que des fous rires. Il y
avait sur la route un homme que je connais, et je ne voulais pas qu’il me voie.
J’ai couru dans un bouquet de bambous sans savoir qu’il y avait là une brusque
dénivellation de terrain. J’ai glissé jusqu’en bas.
Elle confirmait ses dires en
montrant son kimono déchiré et son coude égratigné. Mais elle avait beau
demander pardon, son visage n’exprimait pas la moindre trace de remords. De sa
position dans les premiers rangs du cortège, Jinnai eut vent de ce qui s’était
produit, et la convoqua. Il lui dit sévèrement :
— Tu t’appelles bien
Akemi ? Akemi... c’est difficile à se rappeler. Si tu veux vraiment
réussir dans ce métier, il faudra trouver un meilleur nom. Dis-moi, es-tu
vraiment décidée à faire ce métier ?
— Décide-t-on de devenir une
putain ?
— Ça n’est pas quelque chose
qu’on puisse faire un mois pour partir ensuite. Et si tu deviens l’une de mes
filles, tu devras donner aux clients ce qu’ils demandent, que ça te plaise ou
non. Ne t’y trompe pas.
— Qu’est-ce que ça peut
faire, maintenant ? Les hommes ont déjà gâché ma vie.
— Ce n’est pas du tout
l’attitude qu’il faut prendre. Allons, réfléchis bien. Si tu changes d’avis
avant que nous n’arrivions à Edo, ça n’a pas d’importance. Je ne te demanderai
pas de me rembourser ta nourriture et ton logement.
Ce même jour, au Yukuōin, à
Tako, un homme d’un certain âge, apparemment débarrassé du souci des affaires,
allait poursuivre son voyage par petites étapes. Lui, son serviteur et un
garçon d’une quinzaine d’années, arrivés la veille au soir, avaient demandé à
être logés pour la nuit. Depuis le matin de bonne heure, lui et le garçon
visitaient les jardins du temple. Il était maintenant midi environ.
— Voici pour réparer le toit,
dit-il en offrant trois grosses pièces d’or aux prêtres.
Le grand prêtre, aussitôt informé
du don, fut tellement impressionné par la générosité du donateur qu’il sortit
lui-même en toute hâte afin d’échanger des salutations.
— Peut-être voudriez-vous
laisser votre nom, dit-il.
Un autre prêtre lui apprit que
c’était déjà fait, et lui montra l’inscription au registre du temple :
« Daizō de Narai, négociant en herbes, résidant au pied du mont
Ontake, Kiso. »
Le grand prêtre s’excusa
profusément de la pauvre qualité des mets servis par le temple, car Daizō
de Narai était connu dans tout le pays comme un généreux bienfaiteur des sanctuaires
et des temples. Ses dons prenaient toujours la forme de pièces d’or – dans
certains cas, disait-on, jusqu’à plusieurs douzaines. Lui seul savait s’il
faisait cela par amusement, pour soigner sa réputation, ou par piété.
Le prêtre, désireux de lui faire
prolonger son séjour, le supplia de visiter les trésors du temple, privilège
accordé à peu de monde.
— Je vais rester quelque
temps à Edo, répondit Daizō. Je viendrai les voir une autre fois.
— N’y manquez pas ; mais
du moins permettez-moi de vous raccompagner jusqu’au portail extérieur, insista
le prêtre. Avez-vous l’intention de vous arrêter à Fuchu, ce soir ?
— Non ; à Hachiōji.
— Dans ce cas, le voyage est
facile.
— Dites-moi, qui est le
seigneur de Hachiōji, maintenant ?
— Hachiōji a été placé
récemment sous l’autorité d’Okubo Nagayasu.
— Il était juge à Nara,
n’est-ce pas ?
— Oui. Il dirige aussi les
mines d’or de l’île de Sado. Il est très riche.
— Un homme fort capable, à ce
qu’il semble.
Il faisait encore jour quand
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