La pierre et le sabre
quitte aussi longtemps qu’il tenait encore debout. On menait surtout
la vie dure aux débutants ; jamais on ne les complimentait, et ils avaient
droit à une bonne quantité d’injures. A cause de cela, les samouraïs ordinaires
savaient qu’entrer au service de la Maison de Yagyū ne devait pas être
pris à la légère. Les nouveaux venus restaient rarement longtemps, et les
hommes alors au service de Yagyū étaient triés sur le volet. Les simples
fantassins et palefreniers eux-mêmes avaient un peu étudié l’art du sabre.
Shōda Kizaemon était, cela va
sans dire, un escrimeur accompli : tout jeune, il avait acquis la maîtrise
du style Shinkage ; puis, sous la tutelle de Sekishūsai lui-même, il
avait appris les secrets du style Yagyū. A quoi il avait ajouté certaines
techniques personnelles, et maintenant il parlait fièrement du « véritable
style Shōda ».
Le dresseur de chevaux de Yagyū,
Kimura Sukekurō, était lui aussi un adepte, de même que Murata Yozō
qui, bien que magasinier, passait pour avoir été un bon partenaire de Hyōgo.
Debuchi Magobei, autre employé assez subalterne, avait étudié l’escrime depuis
l’enfance, et était une très fine lame. Le seigneur d’Echizen avait tenté de
convaincre Debuchi d’entrer à son service, et les Tokugawas de Kii avaient
essayé d’attirer Murata, mais tous deux avaient choisi de rester à Yagyū
malgré de moindres profits matériels.
La Maison de Yagyū,
maintenant au comble de sa fortune, produisait un flot apparemment sans fin de
grands hommes d’épée. En outre, les samouraïs de Yagyū n’étaient pas
reconnus comme hommes d’épée tant qu’ils ne s’étaient pas montrés capables de
survivre au régime draconien.
— ... Hé, là-bas ! cria
Kizaemon à un garde qui passait au-dehors.
Il avait eu la surprise de voir Jōtarō
suivre les pas du soldat.
— Salut ! cria Jōtarō
de son ton le plus cordial.
— Que fais-tu donc à l’intérieur
du château ? demanda Kizaemon avec sévérité.
— L’homme du portail m’a fait
entrer, répondit Jōtarō, ce qui était la vérité.
— Ah ! vraiment ?
Et au garde :
— ... Pourquoi as-tu amené
cet enfant ici ?
— Il a dit qu’il voulait vous
voir.
— Tu veux dire que tu as
amené cet enfant ici sur sa simple demande ?... Petit !
— Oui, monsieur.
— Ceci n’est pas un terrain
de jeu. Va-t’en.
— Mais je ne viens pas jouer.
J’apporte une lettre de mon maître.
— De ton maître ? N’as-tu
pas dit qu’il était l’un de ces étudiants errants ?...
— Lisez la lettre, s’il vous
plaît.
— Inutile.
— Qu’est-ce qui se passe ?
Vous ne savez pas lire ?
Kizaemon eut un reniflement de
mépris.
— ... Eh bien, si vous savez
lire, lisez.
— Quel mioche rusé ! Si
j’ai dit que je n’avais pas besoin de la lire, c’est que je sais déjà ce qu’elle
contient.
— Tout de même, est-ce qu’il
ne serait pas plus poli de la lire ?
— Les apprentis guerriers
grouillent ici comme des moustiques et des asticots. Si je prenais le temps d’être
poli avec eux tous, je ne pourrais plus rien faire d’autre. Mais comme j’ai
pitié de toi, je vais te dire le contenu de cette lettre. D’accord ?...
Elle raconte que le signataire voudrait être autorisé à voir notre magnifique dōjō,
qu’il aimerait à se prélasser, ne serait-ce qu’une minute, dans l’ombre du plus
grand maître du pays, et que dans l’intérêt de tous les successeurs qui
suivront la Voie du sabre, il serait reconnaissant de recevoir une leçon. J’imagine
que c’est à peu près cela.
Jōtarō écarquilla les
yeux.
— La lettre dit ça ?
— Oui, alors je n’ai pas
besoin de la lire, n’est-ce pas ? Mais que l’on ne vienne pas dire que la
Maison de Yagyū rejette d’un cœur froid ceux qui font appel à elle.
Il observa une pause, et reprit
comme s’il avait répété son discours :
— ... Demande à ce garde-là
de tout t’expliquer. Quand des apprentis guerriers viennent ici, ils entrent
par le portail principal et se rendent au portail intermédiaire à droite duquel
se trouve un bâtiment appelé le Shin’indō. On le reconnaît à un écriteau
de bois. S’ils en font la demande au gardien, ils sont libres de prendre un peu
de repos, et peuvent passer une ou deux nuits. Quand ils repartent, on leur
donne une petite somme d’argent pour les aider en route. Et maintenant, ce que
tu dois faire,
Weitere Kostenlose Bücher