La pierre et le sabre
ferais
mieux d’aller jeter un coup d’œil. Pardon, Musashi, de gâcher la soirée, mais
cela risque d’être important. Je vous en prie, continuez sans moi.
Peu après son départ, Murata et
Kimura s’excusèrent poliment.
Les aboiements se faisaient plus
pressants ; le chien semblait essayer d’avertir d’un péril quelconque.
Lorsqu’un des chiens du château se comportait de la sorte, c’était un signe
presque certain qu’il se passait quelque chose de fâcheux. Le pays ne jouissait
pas d’une paix si assurée qu’un daimyō pût se permettre de relâcher sa
vigilance à l’égard des fiefs voisins. Il y avait encore des guerriers sans
scrupules qui risquaient de s’abaisser à n’importe quoi pour satisfaire leur
ambition personnelle, et des espions rôdaient à travers le pays, en quête de
cibles complaisantes et vulnérables.
Kizaemon avait l’air extrêmement
inquiet. Ses yeux revenaient sans cesse à la sinistre clarté de la petite lampe ;
il semblait compter les échos de ce vacarme.
Enfin, il y eut une longue
plainte. Kizaemon gémit et regarda Musashi.
— Il est mort, dit Musashi.
— Oui, on l’a tué.
Incapable de se contenir plus
longtemps, Kizaemon se leva.
— ... Je n’y comprends rien.
Il allait sortir, quand Musashi l’arrêta
en disant :
— Un instant. Jōtarō,
l’enfant qui m’accompagnait, est-il encore dans la salle d’attente ?
Ils posèrent la question à un
jeune samouraï de faction devant le Shin’indō ; après enquête, il
rapporta que l’enfant avait disparu.
Musashi parut soucieux. Se
tournant vers Kizaemon, il déclara :
— Je crois savoir ce qui s’est
passé. Puis-je vous accompagner ?
— Bien sûr.
A quelque trois cents mètres du dōjō,
une foule s’était rassemblée, et l’on avait allumé plusieurs torches. Outre
Murata, Debuchi et Kimura, un certain nombre de soldats et de gardes formaient
un cercle noir ; ils parlaient et vociféraient tous à la fois.
De l’extérieur du cercle, Musashi
jeta un coup d’œil dans l’espace dégagé qui se trouvait au milieu. Le cœur lui
manqua. Là, tout comme il l’avait craint, il y avait Jōtarō couvert
de sang, pareil à l’enfant même du diable – le sabre de bois en main,
les dents étroitement serrées, les épaules montant et descendant au rythme de
sa respiration haletante.
A côté de lui gisait Tarō,
crocs découverts, pattes roidies. Ses yeux qui ne voyaient plus reflétaient la
clarté des torches ; du sang lui coulait de la gueule.
— C’est le chien de Sa
Seigneurie, dit lugubrement quelqu’un.
Un samouraï s’avança vers Jōtarō
en criant :
— Espèce de petit salaud !
Qu’est-ce que tu as fait là ? C’est toi qui as tué ce chien ?
L’homme abattit une main furieuse
que Jōtarō parvint de justesse à éviter.
Bombant le torse, il cria d’un ton
de défi :
— Oui, c’est moi !
— Tu l’avoues ?
— J’avais mes raisons !
— Voyez-vous ça !
— Je me vengeais.
— Quoi ?
La réponse de Jōtarō
suscita la stupéfaction générale ; la foule entière était en colère.
Tarō, c’était l’animal favori du seigneur Munenori de Tajima. Plus :
il était le rejeton de pure race de Raiko, chienne appartenant au seigneur
Yorinori de Kishū, qui l’aimait beaucoup. Le seigneur Yorinori avait
lui-même offert le chiot à Munenori qui l’avait personnellement élevé. Le
meurtre de l’animal ferait donc l’objet d’une enquête approfondie, et le sort
des deux samouraïs payés pour veiller sur le chien se trouvait maintenant bien
compromis.
L’homme que Jōtarō avait
en face de lui était l’un d’eux.
— Silence ! hurla-t-il
en visant du poing la tête de l’enfant.
Cette fois, Jōtarō ne
fut pas assez prompt. Le coup l’atteignit près de l’oreille.
Il leva la main pour tâter sa
blessure.
— Qu’est-ce que vous faites ?
cria-t-il.
— Tu as tué le chien du
maître. Tu ne vois pas d’inconvénient à ce que je te batte à mort de la même
façon, hein ? Parce que je ne vais pas faire autre chose.
— Je n’ai fait que me venger
de lui. Pourquoi me punir de ça ? Une grande personne devrait bien savoir
que ça n’est pas juste !
Selon Jōtarō, il n’avait
fait que protéger son honneur, et risquer sa vie à cet effet car une blessure
visible était une honte grave pour un samouraï. Pour défendre sa fierté, il n’y
avait d’autre solution que de tuer le
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