La pierre et le sabre
l’honneur
de tes ancêtres, Takezō, aie la décence de mourir avec une expression
paisible sur le visage !
Le claquement des sandales de
Takuan s’évanouit au loin. Il était parti, et Takezō cessa de crier. Selon
le conseil du moine, il ferma les yeux qui venaient de connaître un grand
éveil, et oublia tout. Il oublia la vie et la mort, et sous les myriades d’étoiles
minuscules se tint parfaitement immobile, tandis que la brise nocturne
soupirait au travers de l’arbre. Il avait froid, très froid.
Au bout d’un moment, il sentit qu’il
y avait quelqu’un au pied de l’arbre. L’inconnu s’agrippait au large tronc pour
essayer frénétiquement, mais sans beaucoup d’adresse, de grimper jusqu’à la
plus basse branche. Takezō entendait le grimpeur, presque après chaque
progression vers le haut, glisser vers le bas. Il entendait aussi tomber au sol
des fragments d’écorce, et avait la certitude que les mains étaient bien plus
égratignées que l’arbre. Mais le grimpeur s’obstina jusqu’à ce qu’il arrivât
enfin à portée de la première branche. Puis la forme s’éleva avec une aisance
relative jusqu’à l’endroit où Takezō, à peine distinct de la branche sur
laquelle il était étendu, gisait vidé de toute son énergie. Une voix haletante
chuchota son nom.
A grand-peine il ouvrit les
paupières, et se trouva face à face avec un véritable squelette ; les yeux
seuls étaient vivants, ardents. Ce visage parla :
— C’est moi ! dit-il
avec une simplicité enfantine.
— Otsū ?
— Oui, moi. Oh ! Takezō,
fuyons ! Je t’ai entendu crier que de tout ton cœur tu voulais vivre.
— Fuir ? Tu vas me
détacher, me délivrer ?
— Oui. Moi non plus, je ne
peux plus supporter ce village. Si je reste ici... oh ! je ne veux même
pas y penser. J’ai mes raisons. Je ne veux qu’une chose : sortir de cet
endroit stupide et cruel. Je t’aiderai, Takezō ! Nous pouvons nous
aider l’un l’autre.
Otsū portait déjà des
vêtements de voyage et toutes ses possessions terrestres se trouvaient dans un
petit sac de toile qui pendait à son épaule.
— Vite, coupe la corde !
Qu’attends-tu ? Coupe-la donc !
— J’en ai pour moins d’une
minute.
Elle dégaina un petit poignard, et
en un rien de temps trancha les liens du captif. Plusieurs minutes s’écoulèrent
avant qu’il ne pût fléchir ses muscles. Elle essaya de soutenir tout son poids ;
résultat : quand il glissa, elle tomba avec lui. Les deux corps accrochés
l’un à l’autre rebondirent sur une branche, firent le saut périlleux et s’écrasèrent
au sol.
Takezō se releva. Etourdi par
sa chute de dix mètres et dans un état de faiblesse extrême, il n’en planta pas
moins fermement ses pieds sur la terre. Otsū, à quatre pattes, se tordait
de douleur.
— O-o-o-h !
gémissait-elle.
Il la prit dans ses bras pour l’aider
à se relever.
— Tu n’as rien de cassé ?
— Je n’en sais absolument
rien, mais je crois que je peux marcher.
— Toutes ces branches ont
amorti la chute ; aussi, ce n’est sans doute pas trop grave.
— Et toi ? Ça va ?
— Oui... je suis... ça va. Je
suis...
Il se tut une ou deux secondes,
puis explosa :
— ... Je suis vivant !
Je suis vraiment vivant !
— Bien sûr, que tu es vivant !
— Non, ce n’est pas « bien
sûr ».
— Dépêchons-nous de sortir d’ici.
Si quelqu’un nous trouve ici, nous aurons de sérieux embêtements.
Otsū commença de s’éloigner
en boitillant, suivie de Takezō... lents, silencieux comme deux frêles
insectes blessés sur la gelée blanche de l’automne.
Ils progressèrent de leur mieux,
clopinant en silence, silence qui ne fut rompu que bien plus tard, lorsque Otsū
s’écria :
— ... Regarde ! Cela s’éclaircit
là-bas, vers Harima.
— Où sommes-nous ?
— Au sommet du col de
Nakayama.
— Nous avons réellement fait
tout ce chemin ?
— Oui, répondit Otsū
avec un faible sourire. C’est étonnant, ce que l’on peut faire avec de la
volonté. Mais, Takezō...
Otsū paraissait inquiète.
— ... Tu dois mourir de faim.
Voilà des jours et des jours que tu n’as rien mangé.
En entendant parler de nourriture,
Takezō se rendit soudain compte qu’il souffrait de crampes d’estomac. Maintenant
qu’il en avait conscience, c’était une torture, et Otsū lui parut mettre
des heures à ouvrir son sac et à en tirer des provisions. Son don de vie
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