La Rose de Sang
trop. Dans quel dessein, elle
l'ignorait. Frère Manolo paraissait tomber dans le panneau.
— Au
nom de notre sainte mère l'Eglise, je suis fort intéressé, car ici en Espagne
nous ne connaissons pas la prière à trois voix...
— C'est que, mon bon
Padre, c'est à la mode française! déclara François Ier d'une voix suave,
avant d'ajouter, angélique : Père Julien va vous l'apprendre. Ensuite, si vous
le jugez bon, vous pourrez la répéter à mon cher « frère » Charles.
Frère Manolo se
signa. Père Julien aussi, imité de François et de Marguerite, bien sûr suivis
de Zéphyrine.
— Bénissez-moi,
mon Père, avant que nous remerciions la bonne Dame au ciel de notre miraculeuse
guérison, demanda François Ier en joignant les mains.
Père Julien s'approcha du lit royal.
— Au
nom de Notre Seigneur, je bénis Votre Majesté car son cœur est pur et ses
intentions louables...
Avec une vivacité
que Zéphyrine n'attendait pas du gros prêtre, il entraîna frère Manolo, le
sergent et les soldats, et ils s'agenouillèrent devant la fenêtre. Sur une
injonction de frère Manolo, les autres gardes firent de même dans le
renfoncement de la pièce.
Ayant compris ce
qu'on attendait d'elle, Zéphyrine joignit les mains, agenouillée dans la
ruelle. Madame Marguerite priait déjà de l'autre côté. Allongé au milieu du
lit, le convalescent commença à voix haute :
— Je
vous salue, Marie, pleine de grâce...
— Je
vous salue, Marie, pleine de grâce, répéta d'une voix aiguë Marguerite.
— Je
vous salue, Marie, pleine de grâce, reprit docilement Zéphyrine.
Comme dans un
canon, père Julien scandait :
— Je
vous salue, Marie...
Les mains jointes
sur un chapelet, François continuait :
— Le
Seigneur est avec vous...
— Le
Seigneur est avec vous...
Madame Marguerite tonitruait sa prière.
— Et
bénie entre toutes les femmes...
— Tu as une idée
d'évasion, Zéphyrine ? glissa François I er entre deux phrases de
l'Ave.
— Et
bénie entre toutes les femmes... Oui, Sire...
A l'autre bout de
la chambre, père Julien organisait un tel vacarme que le roi, sa sœur et
Zéphyrine avaient un court répit Pour comploter à l'aise.
— Et
Jésus le fruit de vos entrailles..., glapissait Marguerite.
— Et
Jésus... Un valet noir apporte du bois tous les jours... Le fruit de vos
entrailles..., fit Zéphyrine.
— Un
valet noir ! répondit le roi... Le fruit de vos entrailles...
— Est
béni... Vous pourriez vous échapper, Sire, en prenant sa place et lui la vôtre.
— Est
béni... Sainte Marie, Mère de Dieu... L'idée est séduisante, Zéphy... Heu...
priez pour nous, pauvres pécheurs... Vous avez entendu, ma sœur? murmura
François.
— Oui,
mon frère, chuchota Madame Marguerite avant de hurler : Priez pour nous,
pauvres pécheurs...
Madame Marguerite
se battait la coulpe. François et Zéphyrine faisaient de même.
— Et à l'heure de
notre mort... II suffirait
d'échanger les vêtements et de trouver un maquillage noir... Vous sortiriez
ainsi déguisé, de nuit, Sire, laissant le moricaud dans votre lit.
— Et à l'heure de
notre mort... Avec quatre heures d'avance sur la garde, c'est possible... Il
faudra ruser pour faire sortir les soldats et ligoter le pauvre bougre pour
assurer sa sécurité, dit le roi, toujours très humain. Et à l'heure de notre
mort, heu... répéta-t-il, manquant de prière... Anne de Montmorency nous
aidera. Bravo, ma Zéphyrine, ainsi soit-il!
— Ainsi
soit-il !
Frère Manolo se
releva en déclarant qu'il n'avait jamais prié de si agréable façon. « Sûrement,
il en parlerait à Sa Majesté Charles Quint ! »
— Va t'occuper des
tiens maintenant, ma chère fille, conseilla François I er d'un visage illuminé par la sainteté.
« Comme on peut se
tromper sur l'âme humaine, songea frère Manolo. J'ai toujours pensé que le roi
de France était frivole et débauché. »
Le moine espagnol
promit de se donner dix coups de verges pour se punir de juger son prochain.
Après avoir pris
congé du roi et de sa sœur, Zéphyrine sortit dans l'antichambre. L'activité y
avait repris. Valets et servantes montaient l'eau, ou des provisions de bouche.
La jeune femme
réussit à attirer dans
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