La Trahison Des Ombres
autres ?
Le magistrat s’apprêtait à ceindre son ceinturon
et à sortir quand il revit Maeve, visage pâle et tendu, yeux scrutateurs. Ses
mots d’adieux résonnèrent à ses oreilles. Elle les avait murmurés en lui
passant les bras autour du cou et en l’embrassant sur la joue.
— Méfiez-vous des ombres. Souvenez-vous que
si vous pourchassez des meurtriers, eux aussi peuvent vous poursuivre !
Corbett s’immobilisa, la main sur le loquet, et
changea d’avis. Il revint s’asseoir sur son lit et pensa derechef au clocher,
au corps et aux autres cordes lestées d’un poids. S’il pouvait résoudre ça, il
pourrait capturer l’assassin et, avec l’aide de la fille de Molkyn, mettre un
terme à ces morts dans Haceldema.
Il reprit ses documents. Il mit pour le moment
la mort de Bellen de côté et réexamina sa théorie de deux meurtriers à Melford.
— Pas Furrell et sa femme.
Il en était sûr à présent – alors qui ?
Il étudia une nouvelle fois le parchemin trouvé
dans la chambre du vicaire et se rappela le chant de Furrell sur l’ange et le
démon. Que lui avait dit d’autre Sorrel ? Si ce n’était pas elle qui
exerçait sa vengeance, alors qui était-ce ? Son histoire révélait-elle
quelque chose ? Corbett continua à travailler et, peu à peu, le mystère
commença à se dévoiler.
CHAPITRE XVI
— Qui est le Momeur ?
Corbett était assis dans la petite chaumine en
pisé de grand-mère Crauford. L’endroit était enfumé et sombre. Le feu, dans l’âtre
de fortune, manquait d’ardeur, les bûches de bois vert résistant aux flammes
qui les léchaient. La vieille femme reposa le soufflet et jeta, par-dessus son
épaule, un coup d’œil à Peterkin installé sur un tabouret à trois pieds. L’idiot
tenait à deux mains une écuelle de soupe aux poireaux sur ses genoux. Il laissa
tomber sa cuillère de corne avec bruit, ne quittant pas le magistrat de ses
yeux apeurés. Il posa avec précaution l’écuelle sur le sol près de lui.
— Qu’est-ce que c’est que ces manières ?
s’insurgea grand-mère Crauford. L’aube point à peine que vous frappez déjà à ma
porte ? Nous n’avons rien à voir avec Haceldema.
— J’ai compris pourquoi vous appelez cet
endroit Haceldema, répondit le magistrat. Non, non...
Il tendit la main.
Peterkin fixait à présent l’entrée gardée par
Ranulf.
— Ne te sauve pas, dit Corbett d’une voix
douce. Je te rattraperai ! Chut !
Il leva la main pour prévenir toute autre
question de la part de son hôtesse.
— Regarde, Peterkin.
Corbett tenait une pièce d’argent.
Le visage aux traits mous se détendit. Peterkin
sourit, ouvrit la bouche, langue sortie comme s’il savourait déjà les sucreries
qu’il achèterait.
— C’est un pauvre simple d’esprit, grommela
grand-mère Crauford.
— Pas aussi stupide que vous le pensez,
rétorqua le clerc. Vous le savez bien, et lui aussi. Il n’est pas vraiment sot,
n’est-ce pas ? Ni simplet ? Ni fol ?
Il saisit une lueur, un éclair, un air d’intelligence
dans le regard du garçon.
— Tu comprends ce que je dis, n’est-ce pas ?
continua-t-il.
— Peterkin ne sait pas, répondit ce dernier
d’une voix basse et rauque.
— Si, tu sais. Je vais vous narrer un
conte, à toi et à grand-mère Crauford. Mais d’abord je me demande bien où se
trouve ta cachette, Peterkin. Où dissimules-tu les pièces que te donne le
Momeur ?
— Quelle cachette ? intervint la
femme.
Elle tira un tabouret et scruta Peterkin plutôt
que Corbett, comme si les mots de ce dernier avaient réveillé un souvenir.
— Je vais te raconter mon histoire, puis je
t’exposerai ce qui t’attend, déclara le clerc. Je te tourmenterai en décrivant
moult terribles châtiments, Peterkin, mais, si tu m’aides, dit-il en souriant,
ce sera une pièce d’argent pour le sage Peterkin. La paroisse de St Edmund, à
Melford, est un drôle d’endroit pour un homme comme toi, Peterkin. Les
habitants s’enrichissent ; voyageurs, marchands, vendeurs, colporteurs et
porte-balle affluent. Votre monde change, n’est-ce pas, grand-mère Crauford ?
Il y a quarante ans, qui se souciait de Melford, quand la charrue fendait la
terre et que les paysans passaient leur vie à s’inquiéter de ce que donnerait
la moisson ? À présent tout est différent. Il n’y a plus que des haies
coupant les grandes prairies où paissent les moutons et les gains engraissent
tout un
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