La Trahison Des Ombres
lui. On a même avancé qu’il avait été acheté.
Corbett ferma les yeux et se remémora le récit
du procès : Furrell le braconnier avait défendu Sir Roger.
— Que voulait dire Furrell à propos du
diable qui incitait les gens à mentir ? Insinuez-vous qu’on les avait
soudoyés ?
— Payés, menacés, quelle importance ?
Un homme respectable est mort.
— Vous devriez être prudente, lui conseilla
le magistrat.
— Oh, ne vous inquiétez pas, Messire, je
tiens ma langue ! J’erre dans les parages comme si j’étais simple d’esprit
et je me tais. La vieille Sorrel ne voit rien et ne sait rien.
— Cependant vous êtes convaincue que Furrell
a été assassiné et enterré ?
— J’en suis sûre. J’ai l’intention de
trouver sa tombe.
— Après cinq ans ? s’enquit Corbett.
— Tout ce que je sais, c’est qu’il est
sorti une nuit et n’est jamais revenu. Melford et les environs sont pleins de
sentiers, fossés, buissons, fourrés, bois et marais, mais je prie. Chaque soir
avant de me coucher, je prie pour découvrir le corps de Furrell.
— Et il a été assassiné à cause de ce qu’il
a maintenu devant la cour ?
— Peut-être. Comme je vous l’ai dit,
Furrell était rusé, secret comme la nuit. Même avec moi, il savait se taire s’il
n’était pas ivre.
— Vous pensez donc qu’il a aperçu quelque
chose ?
— Je parie par Dieu et Ses saints que c’est
le cas et que donc on l’a réduit au silence. Après tout, il est le seul qui ait
jamais entendu le tueur aux jets.
— Ah, c’est vrai !
Le clerc laissa son cheval fourrer son museau
dans sa main.
— J’en ai eu vent. Qu’a-t-il vraiment vu ou
entendu ?
— Il chassait non loin d’ici. Il faisait
nuit. Il a distingué une silhouette et a ouï des halètements et un tintement de
cloche. Furrell s’était rendu à l’une des caches où il dissimulait de la
venaison. Il ne voulait pas qu’on le prenne en flagrant délit. Il a cru que c’était
quelqu’un du coin avec son amante ou un bourgeois avec sa catin. N’oubliez pas,
Messire, que Melford est une petite ville : les murs et les ruelles ont
des yeux et des oreilles. Si vous vous amourachez de la servante de votre
épouse, il vaut mieux la lutiner hors les murs. Et puis il y a les jouvenceaux
avec leurs rencontres au clair de lune et leurs retrouvailles amoureuses.
Furrell a détalé. Quand Blidscote a posé des questions, il lui a narré ce qu’il
avait entendu. Mon mari a toujours prétendu que ça avait été une erreur. Il
regrettait d’avoir ouvert la bouche.
— Mais n’est-ce pas ce qu’il a fait au
sujet de Sir Roger Chapeleys ?
— C’était différent. C’était devant la
cour, sous serment, devant la justice royale. Il a estimé qu’il était en
sécurité.
— Que savez-vous d’autre ? Si vous
courez bois et forêts, vous devez apercevoir des choses que d’autres ne voient
point. Vous m’avez suivi depuis Melford. Vous aviez entendu parler de ma venue.
Vous brûliez de m’entretenir.
— Je vous confierai tout, Messire, mais je
vous supplie de ne jamais rien en révéler à quiconque.
Sorrel tourna la tête pour regarder le chemin.
— Avez-vous peur de Tressilyian, de
Chapeleys ?
— Non.
Elle lui sourit dans les ténèbres.
— Je joue bien mon rôle. Ce sont de grands
seigneurs. Ils doivent croire que vous pensez comme eux. Qui accorderait foi à
cette pauvre folle de Sorrel ?
Elle tira sur les rênes et Corbett s’arrêta. Il
s’aperçut que la nuit était tombée brusquement. Ils avaient quitté les bois. De
chaque côté, haies et champs se perdaient dans le lointain. Le ciel était piqué
d’étoiles et la pleine lune luisait, blanche et puissante.
— Furrell aurait apprécié ce genre de nuit,
chuchota-t-elle. Oubliez tous ces contes de ténèbres. Lui aimait savoir où il
se trouvait.
Le magistrat percevait la tension de sa
compagne. Elle se conduisait en folle, en veuve d’un braconnier porté disparu,
mais c’était une femme consumée par la soif de justice et un désir de revanche.
— Priez-vous, Sorrel ?
— J’ai une statue de la Vierge,
répondit-elle. Elle est en bois et un peu délabrée et écaillée. C’est le père
Grimstone qui me l’a donnée. Tous les soirs, tous les matins, j’allume une
chandelle de cire achetée spécialement au ciergier et je récite : « Bonne
Mère, vous n’avez jamais perdu votre époux, mais moi, si. »
Oyant cette
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