Labyrinthe
qu'elle s'est chargée de veiller sur vous avec les meilleures intentions. L'avez-vous seulement interrogée ? À votre visage, je constate que non. Elle est votre sœur, Alaïs. Vous lui devez de meilleurs sentiments. »
L'opprobre inique dont elle se sentait victime mit le feu à la colère qui bouillait dans sa poitrine.
« Ce n'est point moi qui…
— Si l'occasion m'en est donnée, je parlerai à Oriane », déclara Pelletier sur un ton ne laissant place à aucune tergiversation.
Alaïs se sentit rougir, mais garda le silence. Elle se savait depuis toujours la préférée de son père, cependant, elle comprenait aussi que le sentiment de culpabilité qui pouvait en résulter le conduisait fréquemment à pardonner les écarts de conduite de sa fille aînée. Sans doute avait-il pour sa cadette de plus hautes aspirations.
Dépitée, Alaïs lui emboîta le pas.
« Tenterez-vous de savoir qui s'est emparé du merel que vous m'avez confié ?
— Il suffit, Alaïs. Rien ne peut être entrepris avant notre retour à Carcassona. Pour l'heure, puisse Dieu nous accorder bonne fortune et vélocité pour atteindre le château dans les plus courts délais. » Pelletier s'immobilisa pour observer l'alentour : « Et prions pour que Besièrs ait la force de soutenir le siège qui se prépare. »
30
Carcassonne
M ARDI 5 JUILLET 2005
En quittant Toulouse, Alice retrouva le moral.
L'autoroute déboucha abruptement dans un paysage de champs de cultures quadrillés de vert et de brun. De temps à autre, elle voyait une vaste étendue de tournesols, leurs corolles offertes au soleil déclinant. La plus grande partie du voyage s'était passée à longer des rails de sécurité. Après les montagnes et les vallées ondoyantes de l'Ariège, le paysage lui semblait moins sauvage, plus hospitalier.
Au sommet des collines, les maisons se rassemblaient en petits villages. D'autres s'isolaient, volets clos, découpant leur cloche-mur sur un ciel rosissant. Alice se plaisait à lire les noms des villes défilant sur le bas-côté : Avignonet, Castelnaudary, Saint-Papoul, Bram, Mirepoix… autant de mots qui roulaient sous la langue comme le vin du pays, chacun promettant des secrets cachés sous les pavés ou des histoires enfouies au cœur de la pierre.
L'entrée d'Alice dans le département de l'Aude lui fut signalée par un panneau brun : Vous êtes en pays cathare . Elle sourit. Elle avait vite appris que la région se définissait autant par son passé que par son présent. Non seulement celle de Foix, également celle de Toulouse, de Béziers et de Carcassonne, grandes villes du Sud-Ouest vivant encore à l'ombre d'événements survenus huit siècles auparavant. Livres, souvenirs, cartes postales, cassettes vidéo, une véritable industrie touristique s'y était développée. De la même manière que les ombres vespérales s'étiraient vers l'est, les panneaux de signalisation semblaient l'attirer inéluctablement vers la cité de Carcassonne.
À neuf heures, Alaïs franchit le péage et mit le cap sur le centre-ville. Elle traversa les zones industrielles et commerciales, à la fois émue et surexcitée, étrangement angoissée, habitée par l'impression de toucher au but.
Lorsque le feu tricolore passa au vert, Alice avança dans le flot de la circulation, contournant les ronds-points et franchissant les ponts, pour se retrouver contre toute attente en rase campagne : haies à l'abandon le long de la rocade, mauvaises herbes, arbres déracinés par le vent.
Après le sommet de la colline, Alice arriva à destination.
La cité médiévale investissait le paysage, plus étendue, plus achevée, autrement imposante qu'elle l'avait imaginée. Avec la distance et les montagnes mauves qui se détachaient en arrière-plan, on eût dit un royaume imaginaire flottant dans les nuages.
Alice fut immédiatement subjuguée.
Elle se gara sur le bas-côté et sortit de la voiture. Deux lignes de remparts ceinturaient la cité, la seconde étant à l'intérieur de la première. Elle reconnut la cathédrale, le Château comtal et sa tour rectangulaire, fine et élancée, qui dominait l'ensemble.
La Cité se dressait sur une colline verdoyante, dont les pentes glissaient doucement vers des rues bordées de toits de tuile rouge. En bas, la plaine se partageait entre vignobles, figuiers, oliviers, et plants de tomates alignés.
Réticente à se rapprocher de crainte que le charme ne se brisât, Alice contempla le
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