L'archipel des hérétiques
l'est, jusqu'aux
îles Moluques. Mais l'incident n'en fut pas pour autant clos - loin s'en
fallait.
Quelques mois plus tard, la VOC contre-attaqua en force,
lâchant deux mille soldats contre Jacatra, qu'ils mirent à feu et à sang. Ils
rasèrent les quelques bâtiments qui avaient résisté à l'incendie. Le pangeran, qui soutenait les Anglais, fut détrôné et la colonie fut
reconstruite, sous les espèces d'une véritable forteresse, qui prit le nom de
Batavia.
La ville neuve, fondée le 30 mai 1619, était protégée du
côté de la mer par des fortifications modernes, neuf fois plus vastes que les
installations précédentes, et construites en blocs de corail blanc. La
forteresse comportait quatre bastions baptisés Diamant, Rubis, Saphir et Perle,
ce qui avait inspiré aux indigènes javanais le surnom de kota-inten, Ville de Diamant. Ce nom lui resta, et avant tout parce que, en quelques
années, son activité commerciale en fit l'une des cités les plus prospères de
toutes les Indes.
Il ne restait plus trace de l'ancienne Jacatra. La
nouvelle Batavia ressemblait à n'importe quelle ville hollandaise. Ses maisons
étaient bâties avec des briques pour la plupart acheminées de Hollande dans les
cales des retourschepen, auxquels elles tenaient lieu de ballast. Elles
s'abritaient sous des toits de tuiles, comme leurs cousines d'Amsterdam, dont
elles avaient la haute silhouette caractéristique. Les rues, bordées d'arbres,
étaient tirées au cordeau. La ville était pourvue d'écoles, d'églises et même
de canaux, le tout construit dans le plus pur style européen. Ses habitants ne
faisaient que peu de concessions aux mœurs tropicales, et la plupart des
Néerlandais qui y vécurent abusaient du tabac et de l'alcool 14 ,
exactement comme ils l'auraient fait sur le sol national.
Ils accordaient une grande importance à tous les attributs
extérieurs du rang et du statut social, et malgré l'accablante moiteur
ambiante, les soldats comme les marchands étaient vêtus d'habits de lourd drap
noir, conformément à l'usage hollandais. Quant aux autochtones, ils n'étaient
pas admis dans l'enceinte de la forteresse.
Néanmoins, même les visiteurs qui la découvraient pour la
première fois, telle Zwaantie Hendricx, ne pouvaient voir en Batavia une ville
véritablement européenne. Sous bien des aspects, elle restait profondément
marquée par son origine orientale. On y trouvait notamment un important
quartier chinois, et une rue entière bordée de tripots qui étaient interdits
aux Occidentaux après la tombée de la nuit. Un citoyen sur quatre était chinois
et le reste de la population était, pour deux tiers, des esclaves asiatiques.
La communauté européenne comptait environ mille deux cents
soldats, et quelques centaines de marchands, d'employés administratifs et
d'artisans. Les Hollandaises faisaient rarement le voyage avec leurs époux et
tous les hommes ou presque vivaient avec des maîtresses indigènes. La nature
environnante était à l'avenant : la forêt tropicale entrelaçait ses lianes
jusqu'aux portes de la ville, et la jungle environnante abritait des singes,
des rhinocéros et des tigres, qui s'en prenaient parfois aux esclaves des
plantations de canne à sucre, jusqu'au pied des remparts. Pour ne rien
arranger, des bandes de brigands de Bantam venaient rôder dans le voisinage,
n'hésitant pas à attaquer et à dépouiller ceux qui avaient l'imprudence de se
risquer trop loin de la ville. Batavia vivait donc dans une sorte de splendide
isolement. Les nouveaux colons y arrivaient par voie de mer. Ils pouvaient y
vivre des années et en repartir comme ils étaient venus, sans avoir rien vu du
reste du pays.
Intra-muros, la communauté des habitants était particulièrement
homogène et unidimensionnelle, puisque la quasi-totalité de la population
travaillait directement pour la VOC. Au fil des années, les Dix-sept
persévérèrent dans leurs efforts pour attirer de nouveaux émigrants européens,
qu'ils espéraient persuader de s'installer aux Indes comme free-burghers -
des citoyens privés susceptibles de bâtir l'infrastructure nécessaire à la vie
d'une vraie cité. Mais comme les nouveaux arrivants étaient régulièrement
décimés par les épidémies et se voyaient exclus du commerce des épices, leur
nombre ne parvint jamais à s'élever au-delà d'une infime fraction de la
population.
Les quelques colons potentiels qui se risquaient à faire
le voyage n'y demeuraient
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