L'archipel des hérétiques
critique au commandeur et lui offrit même l'occasion de se racheter. Selon les archives
du conseil des Indes,
« Son Honneur fit valoir au Conseil que, comme il était
apparemment possible qu'une partie des hommes et une partie des biens pût être
sauvée et récupérée..., ils devaient être renvoyés là-bas à bord d'un jacht adapté à ce trajet... et que, comme le Sardam, arrivé ici le 7 de ce
mois en provenance de la Mère Patrie paraissait convenir ; il fallait pourvoir
le susdit bâtiment d'une provision suffisante d'eau, de vivres, de gréements et
d'ancres supplémentaires et renvoyer sur les lieux du naufrage Francisco
Pelsaert, commandeur du Batavia , le navire qui avait sombré - afin de
plonger, pour récupérer les biens, avec ordre exprès de revenir dans les
meilleurs délais, après avoir tout fait pour porter secours aux hommes et
récupérer les biens et l'argent. »
La proposition de Coen reçut aussitôt l'aval des autres
membres du Conseil 25 , Anthonij Van Diemen et Pieter Vlack. Ils
donnèrent l'ordre de décharger le Sardam aussi vite que possible et de
le préparer à repartir en direction du sud. Entre-temps, le gouver-neur général
rédigea ses instructions pour le commandeur.
À première vue, les ordres 26 qui furent
communiqués à Pelsaert étaient on ne peut plus logiques, précis et sans détour,
mais, en lisant entre les lignes, on y relève quelques insinuations menaçantes.
Le texte avait été soigneusement rédigé pour ôter au commandeur toute
excuse, en cas d'échec. Le Sar-dam devait partir au plus tôt vers les
Abrolhos, avec mission de ramener non seulement tous les survivants, mais aussi
tout l'argent et les biens qu'il pourrait embarquer, « de sorte que la Compagnie
puisse y trouver quelque compensation à ses grandes pertes ». Le temps n'était
pas un problème. Pelsaert devait s'apprêter à passer trois ou quatre mois sur
les lieux du naufrage, voire, au besoin, attendre l'été austral pour mener les
opérations de sauvetage à leur terme. Il pourrait en ce cas établir une base
temporaire sur les côtes de la Terre Australe elle-même, si les tempêtes
l'empêchaient de séjourner dans les îles.
Le commandeur se verrait attribuer le concours de
six plongeurs, poursuivait Coen - deux Hollandais et quatre hommes originaires
du Gujerat -, l'équipage du Sardam serait réduit au strict minimum, sans
doute pour pouvoir ramener le plus grand nombre possible de rescapés. S'ils ne
trouvaient aucun survivant sur les îles, le jacht devait mettre le cap
sur la Terre Australe et explorer la côte, pour rechercher les passagers et
l'équipage. Mais, par-dessus tout, soulignait-il à l'intention de Pelsaert, sa
principale mission était de rapporter l'argent : « Il s'agit là d'une obligation
envers la Compagnie, et il y va de votre honneur. » Et il ne serait toléré
aucun manquement à ces ordres, fallait-il sous-entendre.
Ariaen Jacobsz n'assistait pas à l'audience du conseil. Il
n'avait donc pas été témoin de la tentative du commandeur pour lui faire
endosser la responsabilité du naufrage. Peut-être n'était-il pas totalement
remis des épreuves de leur dernier trajet - ou peut-être n'y avait-il pas été
invité. En tout état de cause, dès qu'ils eurent mis pied à terre, Pelsaert
prit ses distances d'avec le capitaine et le maître d'équipage.
A l'évidence, le commandeur les soupçonnait tous
deux d'avoir été complices lors de l'agression contre Creesje Jansz, bien avant
le naufrage. Nous n'avons aucune certitude quant à la raison qu'il avait de les
soupçonner, mais on peut supposer que Lucretia avait reconnu Evertsz en l'un
des hommes masqués qui l'avaient attaquée - soit à cause de sa haute taille,
soit à cause de son fort accent de Hollande septentrionale. Et une fois ce
rapprochement fait, des rumeurs colportées par l'équipage, ou quelque indice un
peu plus précis semblent avoir attiré l'attention de Pelsaert sur le véritable
rôle qu'avait joué le capitaine.
Cornelis Dircxsz, d'Alkmaar, le seul de tous les hommes
contactés par le maître d'équipage à avoir décliné toute participation à
l'agression, pourrait bien être à l'origine de la fuite, à en juger par
l'empressement que met Pelsaert à l'innocenter, dans le journal de bord. Mais
quels qu'aient pu être les motifs de Pelsaert, et les preuves dont il
disposait, il apparaît clairement qu'à peine la chaloupe arrivée à
Batavia, il dénonça Jacobsz et Evertsz
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