L'archipel des hérétiques
restauration, la toile rejoignit
les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam, où elle est actuellement exposée.
Jacques Specx ne mourut qu'en 1652, aussi riche et aussi
comblé d'honneurs qu'on pouvait espérer l'être après une vie consacrée au
commerce des épices 33 . Il regagna les Pays-Bas en 1632, après un
quart de siècle passé en Orient. Depuis 1607, année où il avait quitté son pays
natal, âgé de dix-huit ans, il n'y avait vécu que douze mois. Il avait
travaillé presque exclusivement à l'établissement des voies commerciales
hollandaises avec le Japon. Sur le chemin du retour vers la mère patrie, il
s'empara au nom de la Jan Compagnie de l'île Sainte-Hélène, alors inhabitée. Elle
fut pendant quelques années une escale prisée par les navires hollandais qui
s'y arrêtaient sur le chemin du retour, pour s'approvisionner. Au bout d'un
certain temps, corsaires et pirates s'avisèrent que les abords de l'île
constituaient un excellent terrain de chasse et, dans les années 1660,
l'augmentation alarmante du nombre de ses bâtiments perdus contraignit la VOC à
renoncer à cette nouvelle colonie.
Enfin revenu aux Pays-Bas, Specx fut admis au conseil des
Dix-sept et devint l'un des directeurs de la Compagnie, poste qu'il occupa
durant les neuf dernières années de sa vie. Il mourut à soixante-trois ans, âge
respectable pour l'époque. Ses voyages avaient fait de lui un homme riche. Il
laissa à ses héritiers une jolie fortune, sans compter plusieurs portraits de
leur aïeul, signés de maîtres aussi prestigieux que Rembrandt.
Quant à Sara, la fille qu'il avait eue d'une mère
japonaise et que Coen avait fait fouetter pour avoir attenté aux bonnes mœurs,
elle connut une fin nettement moins heureuse 34 . Elle s'était
rapidement rétablie, après le retour de son père à Batavia, mais comme elle
était eurasienne, il dut la laisser à Java pour regagner les Pays-Bas. Les lois
hollandaises de l'époque interdisaient aux métisses l'accès au territoire de la
République, afin de remédier à la perpétuelle pénurie de main-d'œuvre dont se
plaignait la VOC, en encourageant les hommes qui avaient fait souche en Orient
à s'y établir définitivement. La jeune fille, qui avait alors quinze ans, resta
donc à Java, où elle semble avoir été bien traitée, en l'absence de son père.
Quelques années plus tard, elle trouva un bon parti en la personne d'un pasteur
du nom de Georgius Candidius, qui avait vingt ans de plus qu'elle. Mais leur
union dura moins d'un an car, à la fin de l'an 1636, âgée de dix-neuf ans, Sara
Specx rendit l'âme à la factorerie hollandaise de
For-mose. Les causes de sa mort nous demeurent mystérieuses.
Une poignée de ceux qui avaient pris une part active à la
mutinerie parvinrent à filer entre les doigts de Pelsaert 35 . Quatre
d'entre eux - Dirck Ger-ritsz, Jan Jansz Purmer, Harman Nannings et le second
maître - étaient des marins. Il semble qu'ils aient fait partie de l'équipage
de la grande chaloupe. Ils avaient participé à l'agression contre Lucretia
Jans, qui coûta la vie à Jan Evertsz. Leurs noms ne furent cités qu'au cours de
l'interrogatoire des autres membres du gang sur les Abrolhos. Lorsque le commandeur revint à Java, les hommes s'étaient dispersés. On ne retrouve aucune trace
d'eux dans les archives, et il semblerait donc qu'aucun n'ait eu à répondre de
ses actes devant la justice.
Jan Willemsz Selyns, chef tonnelier du Batavia, fut
encore plus fortuné, puisqu'il paraît avoir ensuite coulé des jours heureux 36 .
Il avait pris part au terrible carnage du 18 juillet, sur l'île aux Otaries, au
cours duquel une vingtaine de femmes et d'enfants furent sauvagement massacrés.
Il était donc pour le moins coupable de complicité de meurtre. Le 5 août, les
mutins le soupçonnèrent de vouloir passer à l'ennemi en rejoignant Wiebbe Hayes
et, grâce à l'intervention personnelle de Wooter Loos, il échappa in
extremis à la condamnation à mort qu'avait prononcée Jeronimus contre lui.
Plus tard, il se trouvait sur la chaloupe qui avait pour mission de prendre
d'assaut le Sardam et de massacrer la moitié de son équi-page. Il fut
donc mis aux fers à bord du jacht pour y être interrogé. La plupart de
ceux qui partagèrent sa cellule (Jacob Pietersz et Daniel Cornelissen, pour ne
citer qu'eux) payèrent leurs crimes de leur vie, et tous les autres membres du
groupe durent subir au minimum le supplice du fouet et du passage sous
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