L'avers et le revers
soulagement ! Là, étendu sur le sol, en des émanations tant
tenaces et prégnantes que mon maître et Samson en portèrent à leur nez un
mouchoir, un reste de cabri, à moitié dévoré par les loups, pourrissait en sa
nuée de mouches bourdonnantes, les lambeaux épars de chair grouillant d’une
infecte population de vers, sous un pelage encore bien visible et parfaitement
reconnaissable. Peu de temps, comme bien on pense, nous restâmes à envisager ce
peu ragoûtant spectacle, et apaisés de ne pas avoir vu ce que nous redoutions
de voir, nous reprîmes le sentier derechef, poursuivant notre inspection des
broussailles.
Il n’y eut nulle embûche, et point de macabre découverte,
jusqu’à la grande vallée des Beunes, où mon maître, le visage soucieux, l’air
grave, fit stopper la petite troupe.
— Que Diable devons-nous faire, mes amis ? fit-il.
Serait-il que Margot soit jusque-là parvenue, sans ambages, et qu’elle soit
allée à Taniès ?
Il y eut des regards échangés, mais personne ne pipa mot ni
miette, car nous étions à l’ancre, comme les navires au port, accablés par
cette absence totale d’indice d’aucune sorte, qui augurait bien mal de nos
chances à retrouver la Margot, vive ou même, hélas, morte.
— J’en tiens qu’il nous faut aller au village, et
questionner tous et chacun, reprit mon maître. Il ne se peut qu’on ne l’ait
aperçue au marché si elle s’y est finalement rendue.
Ceci parut à tous de la bonne et saine logique, et quoi
faire d’autre du reste, sinon à s’en retourner à Mespech, la mine basse, tout
espoir à jamais enseveli dans un épais mystère. Tournant à dextre, vers l’est,
et remontant la vallée dans un large chemin empierré et carrossable, nous
prîmes la direction du village, au pas, continuant à fouiller la campagne de
nos regards, à la recherche d’une piste à se mettre sous le bec. Je m’apensai
que le baron avait bien raison de considérer que le malheur s’était produit sur
le sentier qui menait du hameau à la vallée, et non au-delà, car cette vallée
des Beunes était large, défrichée, cultivée, empruntée aussi, la route étant
celle qui menait, au rebours de notre direction, vers l’ouest, au bourg des
Ayzies [21] .
Et cette constatation n’était pas de nature à fortifier notre espérance, d’un
trajet sans péril nous sentions l’inutile, car il y avait là trop de paysans
aux champs, trop de charrettes sur la route, pour que Margot y ait pu encontrer
malfortune.
Obliquant à sénestre, par un rude chemin en pente, nous nous
hissâmes au niveau du village, lequel était aussi peu étendu que celui de
Marcuays, présentant à l’identique étroites ruelles et maisons groupées autour
de son église. Mon maître décida du partage de nos forces, lui et Samson d’un
côtel, Jonas et moi de l’autre, avec pour mission d’interroger tout quidam
encontré, du plus jeune au plus vieux, sans distinction de sexe ni
d’occupation. Ainsi nous fîmes, surtout dans les échoppes et bas de porte, du
sabotier au menuisier, de la couturière à la lavandière, et dans les rues, de
l’enfant au vieillard. De cette inquisition, et confrontant nos réponses, nous
acquîmes certitude et fiance en les points suivants, tous n’étant pas pour nous
de même utilité : Margot était bien connue au village de Taniès –
elle était la fille de Jehan et de Marie du hameau de la Malonie –,
souvent venait-elle au marché d’ici, seule ou avec ses frères, non pas pour y
vendre mais pour y acheter, et avec un grand panier qu’elle chargeait sur son
dos s’en retournait chez elle avant la midi, mais nul ne l’avait vue au dernier
en date, celui d’avant-hier.
— Margot, à Taniès, oncques n’est allée ce jour-là…
conclut mon maître d’un air sombre. Nous échouons.
Debout au côté de nos montures, tenant les brides en main,
sans nous regarder, il y eut un silence tant long qu’il me poigna de
désespérance, à peu que les larmes ne viennent s’en mêler pour achever ma
déroute.
— Allons, il faut nous en retourner ! ajouta mon
maître avec dépit, se hissant sur sa monture. Telle une dernière chance d’en
apprendre davantage, sur le sentier, là-haut, nous guiderons nos montures, deux
d’un côté, deux de l’autre, marchant sur une même ligne, large d’une centaine
de pas.
La petite troupe s’en redescendit dans les Beunes et
lentement progressa sur le large chemin de la vallée,
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