Le Cercle du Phénix
l’avance, enregistrant au passage des détails utiles
tels que l’absence de chiens de garde ou le faible nombre de domestiques, mais
autrefois, lorsqu’elle était encore dans le métier, elle avait pour habitude de
préparer ses plans avec une extrême minutie et de ne rien laisser au hasard.
L’imprévu pouvant se révéler fatal, mieux valait prendre le maximum de
précautions avant de se jeter dans la gueule du loup. Aujourd’hui toutefois, la
situation était différente. Le temps pressait car le Cercle du Phénix risquait
à tout moment de découvrir l’emplacement de l’horloge à eau conçue par
Cylenius, et Cassandra ne voulait à aucun prix donner l’occasion à l’ennemi de
lui griller la politesse.
Le bilan de son entrevue avec Oliver Sikes quatre jours
plus tôt s’était révélé très positif. Le vieillard était décidément une
précieuse accointance. Sa passion des horloges de collection et son savoir
encyclopédique en la matière lui avaient permis de fournir à Cassandra des
informations dépassant tous les espoirs de la jeune femme. Sans hésiter et avec
une belle assurance, Sikes lui avait indiqué que l’horloge à eau à l’effigie de
Neptune, une pièce très ancienne et précieuse, se trouvait pour l’heure dans le
Sussex, au sein de la collection privée d’un riche négociant londonien. C’était
de bon cœur et sans exiger de contrepartie qu’il avait rendu ce petit service à
Cassandra. Il est vrai que celle-ci avait largement contribué à son
enrichissement à l’époque pas si lointaine où ils travaillaient en étroite
collaboration, et que c’était en partie grâce à elle qu’il pouvait maintenant
couler une retraite heureuse et paisible. Cassandra et Sikes nourrissaient de
surcroît l’un pour l’autre une estime et une affection sincères qui rendaient
leurs retrouvailles occasionnelles particulièrement plaisantes. Cassandra
sourit en repensant à son ancien complice. Qui eût cru que ce vieillard
tranquille et inoffensif, doté de joues roses et de sérieuses petites lunettes cerclées
de métal, avait été un receleur de premier ordre, une sommité en matière de
trafic d’œuvres d’art dans le milieu de la pègre londonienne ?
Grâce à Oliver Sikes, Cassandra savait désormais où
trouver l’horloge de Cylenius. Après réflexion, elle avait résolu de ne pas
retourner au manoir Jamiston et de se rendre directement dans le Sussex pour
récupérer l’objet. Les autres devaient s’inquiéter car elle n’avait pas donné
de nouvelles depuis plusieurs jours, mais elle avait jugé plus prudent de garder
le silence jusqu’à ce que sa mission fût accomplie. Le danger était réel, et
peut-être même n’en réalisait-elle pas encore toute l’ampleur.
Cassandra ressentit un léger remords en réalisant
qu’elle allait devoir rompre la promesse faite à Andrew trois ans plus tôt. Si
ce dernier avait été au courant de son projet, il aurait tenté de la dissuader
de le mettre en œuvre. Ne pas rentrer au manoir avait permis d’éviter une
querelle, au grand soulagement de la jeune femme.
Tout en retournant ces pensées dans sa tête, Cassandra
guettait le moment propice d’agir. Une curieuse sensation de retour en arrière
l’envahit soudain. Elle eut l’impression, teintée d’une vague nostalgie, que
les dernières années s’étaient effacées d’un coup, la ramenant à l’époque de
ses excitants méfaits.
Voilée par de lourds nuages de granit, la lune disparut.
Cassandra bondit alors vers la maison.
Pénétrer dans les lieux ne fut pas difficile. La jeune
femme ne mit que quelques secondes à forcer la serrure d’une des portes de
service, et ce fut l’occasion pour elle de constater qu’elle n’avait pas perdu
la main. Non, la partie la plus ardue de la mission consistait à localiser
l’horloge sans se faire repérer par les résidents. Cassandra ignorait dans
quelle pièce elle se trouvait, en espérant qu’elle ne soit pas cachée mais
exposée à la vue de tous. Silencieuse comme une ombre, elle explora les pièces
du rez-de-chaussée, sans succès. Des tapis aux guirlandes de grosses roses
amortissaient le bruit de ses pas.
Elle eut plus de chance au premier étage. Là, dans un
petit salon meublé de palissandre, reposait sur le manteau de la cheminée
cintrée en marbre noir l’horloge à eau de Cylenius, que Cassandra identifia au
premier coup d’œil. Avec précaution, elle s’en saisit et l’enroula
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