Le Chant de l'épée
sourire pour un
consentement. Il avait un visage effrayant, affublé d’un perpétuel rictus. C’était
un combattant redoutable d’habileté et de sauvagerie. Il était né esclave, mais
sa taille et ses talents de guerrier l’avaient élevé à sa position. Il était
garde d’Alfred, possédait lui-même des esclaves, et exploitait une vaste et
bonne terre dans le Wiltunscir. Les hommes le craignaient à cause de son allure
belliqueuse, mais je savais que c’était un brave homme. Il n’était point malin,
mais il était bon et loyal.
— Je demanderai au roi de te laisser
venir, dis-je.
— Il voudra que j’aille avec Æthelred.
— Tu préfères être avec celui qui se bat,
n’est-ce pas ?
Steapa cligna des paupières, ne comprenant pas
l’insulte que je venais de lancer à mon cousin.
— Je me battrai, répondit-il en posant un
bras énorme sur l’épaule de son épouse, une minuscule femme au visage et aux
petits yeux inquiets.
Comme je ne me rappelais jamais son nom, je me
contentai de la saluer courtoisement et continuai mon chemin dans la foule.
Æthelwold me trouva. Le neveu d’Alfred avait
recommencé à boire et ses yeux étaient injectés de sang.
Naguère beau garçon, il était maintenant
empâté et rougeaud. Il m’attira à part sous une bannière où était brodée une
longue exhortation en laine rouge : « Tout Ce Que Tu Demandes De Dieu,
Tu Le Recevras Par La Foi. Quand La Prière Demande, La Foi Humble Reçoit. »
L’épouse d’Alfred et ses dames devaient l’avoir brodée, mais le texte avait
sûrement été inspiré par Alfred.
— Je croyais que tu étais de mon côté, me
reprocha-t-il.
— Je le suis.
— Tu as vu Bjorn ? demanda-t-il, soupçonneux.
— J’ai vu un homme qui faisait mine d’être
mort.
Il ne releva pas, ce qui me surprit. Je me
souvenais de son émoi quand il avait aperçu Bjorn, si grand qu’il en avait
cessé de boire, mais ma remarque le laissait indifférent.
— Ne comprends-tu pas que c’est là notre
chance ?
— Notre chance pour faire quoi ? demandai-je.
— Pour nous débarrasser de lui.
Des gens se retournèrent vers nous. Bien sûr, Æthelwold
voulait se débarrasser de son oncle, mais comme il manquait de courage pour
porter lui-même le coup, il cherchait des alliés comme moi. Voyant que je ne le
soutiendrais pas, il me lâcha le bras.
— Ils veulent savoir si tu as alerté
Ragnar, chuchota-t-il.
Æthelwold était donc encore en contact avec
Sigefrid ?
C’était intéressant, mais peut-être guère
étonnant.
— Non, répondis-je.
— Par Dieu, mais pourquoi ?
— Parce que Bjorn a menti et que mon
destin n’est pas d’être roi de Mercie.
— Si jamais je deviens roi de Wessex, grinça-t-il,
tu auras intérêt à prendre tes jambes à ton cou.
Je le dévisageai sans ciller. Il se détourna
en marmonnant, puis il considéra l’autre bout de l’église.
— Cette catin de Dane, gronda-t-il.
— Quelle catin de Dane ? demandai-je,
songeant un instant qu’il parlait de Gisela.
— Celle-là, dit-il en désignant Thyra. Celle
qui est mariée à l’idiot. La catin dévote. Celle qui a le ventre plein.
— Thyra ?
— Elle est belle ! dit-il d’un ton
vengeur. Et elle a épousé ce vieux fou ! Quand elle aura mis bas son
rejeton, je la culbuterai et lui montrerai comment un homme véritable laboure
son champ.
— Tu sais que c’est mon amie ?
Il s’alarma. Il ignorait manifestement mes
liens avec Thyra.
— Je trouve seulement qu’elle est belle, c’est
tout.
— Touche-la seulement, lui dis-je à voix
basse, et je t’enfonce mon épée dans le cul pour te fendre de bas en haut et
donner tes tripes à mes porcs. Touche-la une seule fois, Æthelwold, une seule, et
tu es mort.
Je le plantai là. C’était un sot, un ivrogne
et un débauché ; pour moi, il était inoffensif. En cela je me trompais, comme
je le vis plus tard. Après tout, il était le roi légitime du Wessex, mais il
était le seul, avec quelques imbéciles, à croire qu’il serait roi à la place d’Alfred.
Alfred était tout ce que son neveu n’était pas :
sobre, astucieux, industrieux et sérieux.
Et en ce jour, il était également heureux. Il
voyait sa fille épouser un homme qu’il aimait presque comme un fils et il
écoutait les moines chanter tout en contemplant l’église qu’il avait fait bâtir,
avec ses statues peintes et ses solives dorées. Et il savait que grâce à
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