Le discours d’un roi
heureuse : c’était ce jour-là que, en 1861, le prince Albert, l’époux tant aimé de la reine Victoria, était mort, à seulement quarante-deux ans. Puis sa deuxième fille, la princesse Alice, était morte à trente-cinq ans le 14 décembre 1878. C’est avec une consternation certaine que les parents accueillirent la naissance du bébé en ce jour qui était considéré dans la famille comme synonyme de deuil, de chagrin et de souvenir.
Au soulagement de tous, Victoria, vénérable vieille dame de soixante-seize ans, prit cette naissance comme étant de bon augure. « Le premier sentiment de Georgie a été de regretter que ce cher enfant soit né en un jour si triste, écrivit-elle dans son journal. J’ai le sentiment que cela pourrait être une bénédiction pour ce cher petit garçon, que cela pourrait être vu comme un don de Dieu ! » Elle fut aussi satisfaite du prénom donné à son arrière-petit-fils, Albert, et tout au long de sa vie, ses amis et sa famille continueraient de l’appeler Bertie.
Le prince George et son épouse Mary – ou May, comme on la surnommait – avaient déjà un fils, Édouard (plus connu sous le nom de David), né dix-huit mois plus tôt, et tout le monde savait que le couple aurait voulu une fille. D’autres estimaient que la naissance d’un mâle « de rechange » était une solide assurance pour la succession. Après tout, George, deuxième fils du futur Édouard VII, devait sa position d’héritier du trône à la mort subite, trois ans plus tôt, de son frère aîné Eddy. Célèbre pour ses frasques, il avait été frappé par une grippe qui avait dégénéré en pneumonie et il avait été emporté moins d’une semaine avant son vingt-huitième anniversaire.
Bertie eut une petite enfance spartiate, typique de la vie d’une maison de la campagne anglaise de l’époque. Le domaine de Sandringham, qui s’étend sur un peu plus de 8 000 hectares, avait été construit en 1866 par le futur Édouard VII pour en faire un pavillon de chasse. La bâtisse d’origine n’étant pas assez grandiose à son goût, il l’avait fait abattre afin d’en ériger à partir de 1870 une autre qui fut progressivement agrandie au fil des vingt années suivantes, dans un style qu’un historien local décrivit comme « élisabéthain modifié ». Ni particulièrement laide, ni vraiment belle, elle fut comparée par un biographe écossais à un hôtel pour golfeurs écossais 16 .
York Cottage, offert à George et Mary pour leur mariage en 1893, était beaucoup plus discret. Situé à quelques centaines de mètres de la demeure principale sur une hauteur verdoyante, il avait été construit par Édouard pour loger des invités supplémentaires lors de grandes parties de chasse. « La première chose qui frappe le visiteur, quant à la demeure elle-même, c’est sa petite taille et sa laideur, écrivit Sarah Bradford, biographe royale 17 . Sur le plan architectural, c’est une pagaille sans aucun charme, pêle-mêle de pièces exiguës, de bow-windows, de tourelles et de balcons, associant grès, une pierre d’un brun rougeâtre que l’on trouve sur le domaine, crépi et colombages peints en noir. » Le cottage était bondé, car il n’abritait pas que le couple et, au fur et à mesure, ses six enfants, mais aussi écuyers et dames de compagnie, des secrétaires privés, quatre pages adultes, un chef cuisinier, un valet de chambre, des valets de garde-robe, dix valets de pied, trois sommeliers, des gouvernantes, des bonnes d’enfants, des femmes de chambre et divers hommes à tout faire.
Les deux garçons et la princesse Mary, née en 1897, suivie du prince Henry, né en 1900, du prince George en 1902 et du prince John en 1905, passaient le plus clair de leur temps dans deux pièces à l’étage : la chambre d’enfants de jour, et la chambre d’enfants de nuit, un peu plus grande, qui donnait sur un étang et un parc peuplé de daims.
Comme d’autres enfants des classes supérieures de l’époque, Bertie et ses frères et soeur furent d’abord élevés par des nounous et une gouvernante qui régnait sur l’espace au-delà de la porte battante du premier étage où ils étaient confinés. Une fois par jour, à l’heure du thé, portant leurs plus beaux vêtements et bien coiffés, ils descendaient et étaient présentés à leurs parents. Le reste du temps, ils étaient confiés exclusivement aux soins de leurs nounous, dont une, fut-il révélé par
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