Le Lys Et La Pourpre
lequel je tenais ouverte la
fenêtre, sinon la petitime, laquelle, dressée sur ses petits ergots, et ses
petits yeux vrillant les miens, me dit d’une voix fort trémulante :
— Monsieur le Comte, qu’est cela ? Qu’est
cela ?
Je détournai la tête pour qu’elle ne vît pas la joie qui
sans aucun doute devait éclater sur mon visage, et haussant les épaules et lui
tournant le dos, je retournai m’asseoir à la table du dîner, laissant Clérac
répondre pour moi, si cela lui chantait. Et cela lui chanta. Peut-être parce
que le petit corps rondi de la petitime ne lui déplaisait pas, tout fidèle
qu’il fût à son épouse, il prenait plaisir à la tabuster.
— Un exercice, m’amie, dit-il.
— Un exercice, Monsieur de Clérac ? dit-elle avec
un air d’incrédulité.
— Ignorez-vous, Madame, que les soldats font
l’exercice ?
— Un exercice par cette chaleur ! Et à cette
heure !
— M’amie, dit Clérac, il n’y a pas d’heure pour les
soldats.
*
* *
— Comte, puisque vous venez de faire appel à moi pour
être témoin de votre bonheur à voir passer les gardes qui assurent les sûretés
du cardinal, puis-je vous poser deux questions ?
— Belle lectrice, je suis tout à vous.
— Je voudrais savoir de prime pourquoi vous m’appelez
« belle » puisque vous ne m’avez jamais vue.
— Madame, à en juger par vos interventions, vous êtes
une femme d’humeur enjouée et les hommes aimant les femmes gaies, j’en ai
conclu que vous étiez aimée. Et qui ne sait qu’une femme aimée, quel que soit
son âge, ne peut que se sentir belle, et l’être, par conséquent ?
— Voilà, Monsieur, comme vous aimez dire « une de
ces cuillerées de miel qui valent mieux pour attraper les mouches qu’une tonne
de vinaigre ». Et de grâce ! Ne me dites pas que ce n’est pas vous
l’auteur de cet adage, mais Henri IV. Je le sais. Je l’ai appris en vous
lisant.
— Madame, c’est fort gracieux à vous d’être une
lectrice si attentive.
— Attentive, je le suis, en effet, au point de
discerner dans le récit que voilà que vous ne tenez plus la balance égale entre
le sceptre et la pourpre, en étant venu, par une pente insensible, à préférer
la seconde au premier. Est-ce vrai ?
— Permettez-moi de m’expliquer avec quelque nuance.
J’ai gardé pour Louis toute l’affection que j’ai conçue pour lui en ses
enfances malheureuses. Mais il faut bien confesser que l’oppression qu’il a
subie en ses enfances a eu pour effet de faire naître en lui, en même temps
qu’un caractère rigide, des soupçons et des ombrages dont nul, même le plus
zélé serviteur, n’est à l’abri. Que Louis, en un mot, est devenu dur, voire même
implacable, qu’il remâche des rancunes excessives, qu’il incline plus
volontiers aux sévérités qu’aux grâces – comme déjà avait observé
Luynes – et qu’enfin, à ses yeux, ce n’est pas assez de punir ceux qui
violent les lois mais, comme lui a fait un jour observer le cardinal,
par-dessus le marché, il veut trouver du plaisir dans cette punition, et jusque
dans la façon parfois quelque peu cruelle dont il tâche d’accabler son ennemi.
— Faites-vous allusion, Monsieur, à la façon amicale et
musicale dont il a accueilli le maréchal d’Ornano quelques minutes avant de le
faire arrêter par Du Hallier et jeter en geôle ?
— Oui-da, mais je pense aussi à la façon dont il en a
agi avec ses ennemis à Blois, comme je vais maintenant vous conter. Madame,
puis-je poursuivre ? Ai-je bien répondu à vos deux questions ?
— Très bien à la seconde. Très mal à la première.
— Très mal, Madame ?
— Comte, suis-je une mouche qu’on puisse m’attraper
avec une cuillerée de miel ?
— Madame, qui de nous le premier a parlé de cette
cuillerée de miel ? Est-ce vous ou est-ce votre serviteur ? Quant à
moi, loin de former le dessein de vous attraper, je nourris celui de vous
captiver. Cependant, si vous désirez que j’ôte « belle » de lectrice,
je le ferai d’ores en avant pour vous complaire.
— Nenni, Comte, n’en faites rien ! Ne changez rien
à vos petites habitudes, puisque vous tenez à elles. Quant à vos gentillesses
verbales, je les souffrirai volontiers.
*
* *
Les soixante gardes royaux qui d’ores en avant escortèrent
quotidiennement le cardinal de Fleury en Bière à Fontainebleau et de
Fontainebleau à Fleury en Bière eurent
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