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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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en impatience de vous voir !
    Cette façon de dire était littéralement vraie et apparemment
aimable. Mais qu’y avait-il derrière cette apparence ? C’est ce que
Fogacer quit de moi le soir même au cours d’une visite impromptue dans ma
chambre. Comme je l’ai dit, je crois, les ambassadeurs, le nonce compris,
suivaient le roi partout et Fogacer était l’ombre du nonce. Il s’ensuivit que
mes bec à bec avec Fogacer, que je ne laissais jamais ignorer à Louis, avaient
un tour particulier puisque chacun de nous tâchait d’apprendre ce que l’autre
savait, sans lui dire ce que l’autre, de son côté, désirait savoir. C’était un
jeu fin et qui comportait des règles et aussi des accommodements à ces règles
car l’entretien eût été fort stérile si nous étions demeurés tous deux bouche
cousue. Chacun, en conséquence, lâchait quelques bribes d’information afin d’en
recevoir à son tour.
    — Me direz-vous, quit de moi Fogacer, ce que « Mon
frère, j’étais en impatience de vous voir » signifie ?
    — Ma fé ! dis-je, la signification est claire
comme eau de roche : Louis était impatient de voir son frère.
    — Vous moquez-vous ? dit Fogacer. Aurez-vous le
front de me dire que cette phrase d’accueil témoigne de la grandissime
affection que Louis nourrit pour son demi-frère ?
    — Je n’irais pas jusque-là.
    — On murmure à la Cour que les Vendôme avaient fait le
projet d’assassiner Richelieu.
    — Mon cher Fogacer, ne savez-vous pas que la Cour est
babillarde à l’extrême et mélange le vrai avec le faux, sans même savoir lequel
est lequel ?
    — Mais, vous pourriez, vous, me les démêler ?
    — Ah ! Pardonnez-moi ! Je ne possède pas ce
genre de peigne.
    — Pour le coup, vous vous gaussez ! Eh bien !
Supposez qu’un gros chat attende depuis une heure devant un trou de souris. Il
sera naturellement très impatient de voir la souris en sortir.
    — Révérend chanoine Fogacer, si c’est Sa Majesté le roi
de France que vous comparez à un gros chat, j’aurai le regret de mettre fin à
notre entretien.
    — Eh bien ! Prenons un autre exemple, si celui-là
vous déplaît. Ici même, au château de Blois, à la pique du jour,
Henri III, le front collé à la vitre de la fenêtre, regardait dans la cour
et attendait avec impatience, je dis bien avec impatience , l’arrivée du
duc de Guise et du cardinal de Guise qu’il avait convoqués très tôt le matin
pour tenir conseil avec Louis. Et vous savez naturellement quel triste sort
attendait les deux frères. Les poignards pour l’un et, deux jours plus tard, la
hallebarde pour l’autre.
    — Je peux enfin répondre à cela, mon cher Fogacer, et
j’en suis bien aise. Si l’hypothèse que votre exemple implique vous a effleuré
l’esprit, écartez-la comme moi-même, résolument. Louis est bien trop pieux pour
commettre un double fratricide et Sa Sainteté le Pape n’aura donc pas
l’occasion de faire plaisir à notre parti dévot en l’excommuniant.
    — D’où tenez-vous que cette excommunication ferait
plaisir au pape ? dit Fogacer avec une roideur vraie ou feinte, je ne
saurais dire.
    — Je n’ai pas dit qu’elle ferait plaisir au pape, mais
au parti dévot. Quant à lui, le Saint-Père, même s’il garde une très mauvaise
dent à Louis pour l’affaire de la Valteline, serait assurément très affligé de
mettre le roi très chrétien au ban de la société…
    — Comte, dit Fogacer avec un sinueux sourire, il me
semble discerner je ne sais quelle ironie dans votre propos.
    — Mais pas la moindre, mon cher Fogacer. Vous savez
combien j’aime l’Église et combien je respecte son chef.
    Le lendemain douze juin, dès le lever du roi, j’obtins de
Louis l’entretien qui me permit de lui impartir le bec à bec que je viens de
conter. Je répétai tout très exactement, sans omettre l’impertinente
comparaison entre le chat et Sa Majesté. Henri IV aurait ri à gueule bec
de cette saillie, mais son fils resta impassible, sauf qu’il me sembla
discerner comme une sorte de triomphe dans ses yeux. Mais c’était un triomphe à
sa manière : reclus en soi, taciturne et sans crête dressée. Et de ce
qu’il voulait faire des frères Vendôme, il ne pipa mot ni miette. En tout cas,
pour l’instant, ils n’étaient pas prisonniers le moins du monde, occupant une
très belle chambre à deux lits où ils reçurent ce jour-là, fort gaiement, les
amis fort nombreux

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