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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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réponse à peine
polie :
    — Monsieur le Comte, dit-elle sans lever les yeux sur
moi, n’a pas intérêt à connaître mon nom. Après qu’il aura baigné soi, Monsieur
le Comte ne me reverra plus.
    Dès que je fus nu en ma natureté, elle approcha un tabouret
qui me permit de m’introduire dans la cuve et de m’y mettre à tremper, ce qui
fut un délice après ce long voyage. Elle y ajouta prou en me frottant le dos et
la poitrine à l’arrache-peau. Toutefois, sa main se fit plus douce au fur et à
mesure qu’elle s’enfonçait dans l’eau, ce qui ne fut pas sans quelque effet sur
moi. Mais cela ressemblait davantage à une inspection qu’à une caresse, tant
promptement elle retira ses doigts, gardant cet air froid et distant qu’elle
avait eu dès le début.
    Là-dessus, le barbier entra et la chambrière se retira en me
faisant, à reculons, une profonde révérence, mais sans m’accorder un regard où
brillait la moindre lueur d’humanité. Je me demandai alors, tandis que le
barbier corrigeait avec dextérité le contour de ma moustache et de mon collier
de barbe, si la soubrette n’en avait pas agi avec moi, mutatis mutandis [2] , comme La Barge en avait agi
avec sa maîtresse : en éclaireur, sans qu’il se fût agi, de toute
évidence, du même éclairement… Toutefois, à peine avais-je conçu ce soupçon que
je le rejetai, comme étant tout à plein incrédible, Madame de Candisse étant
réputée si dévote.
    Dès que le barbier fut hors, après m’avoir lassé les
oreilles de son infatigable babil, Monsieur de Lésignasse parut et me confia à
une autre chambrière pour qu’elle me montrât ma chambre. Celle-ci avait l’air
d’une nonnette qui eût mal supporté les jeûnes de son couvent, ayant le visage
blafard, le parpal plat, les membres grêles et le cheveu caché par un bonnet
sans le moindre brin de dentelle. Je ne vis pas ses yeux, car elle les gardait
baissés et je n’ouïs pas non plus sa voix : elle ne desserra pas les
dents.
    Ma chambre était vaste et belle et jadis, me sembla-t-il,
fort rutilante, mais ce jour d’hui, rideaux, tentures et tapis avaient un air
pauvre et fané, ce qui suggérait que Madame de Candisse, ou bien avait perdu
partie de ses biens, ou bien se trouvait trop chiche-face pour redécorer son
superbe hôtel.
    Mes bagues étaient déjà dans ma chambre et La Barge occupé à
les ouvrir, si bien que je renvoyai incontinent la nonnette à la triste figure
et priai La Barge de m’aider à m’habiller. Ce à quoi il consentit en me faisant
observer, pour la forme, qu’il était mon écuyer et non point mon valet.
    — Mais si je prenais un valet, dis-je, tu perdrais
prou, La Barge, car tu ne serais plus mon confident et mon conseiller.
N’entends-tu pas que je n’ai renvoyé cette pauvre nonnette que pour te parler
au bec à bec de cette maison et du train qu’on y mène ? Qu’en es-tu
apensé ?
    — Ma fé, Monsieur le Comte ! je ne l’aime point du
tout, dit La Barge. À mon sentiment, vous allez y faire piètre et pauvre chère.
De la maîtresse au plus petit valet, ces gens-ci ne sont que bigots et cagots.
On n’y rencontre que paupières baissées, voix et lèvres priantes, pas une
chambrière qui ose montrer le bout d’un tétin et cela vaut peut-être mieux, car
elles sont maigres comme un cheval étique. J’ai traîné mes chausses un peu
partout en tapinois et sans beaucoup de mérite, car le domestique est fort rare
céans. J’ai vu où l’on va vous bailler à souper : deux couverts
seulement ! Vous avez bien ouï, Monsieur le Comte, deux couverts !
Voilà comment on vous fait honneur ! En fait de bonne noblesse de La
Flèche, la dame de céans ne vous baillera que sa présence !
    — Est-ce rien, La Barge, que la présence d’une fille
que tu dis si belle ?
    — Belle assurément, elle l’est, Monsieur le
Comte ! Mais à dire le vrai, je ne l’aime guère. À mon sentiment, quand on
est si boutonnée, c’est qu’il y a cachotterie et trichoterie derrière les
boutons…
    La Barge achevait quand on toqua à l’huis et, allant ouvrir,
Monsieur de Lésignasse apparut, toujours aussi sourcilleux. Mais comment eût-il
pu en être autrement avec la barre de poils noirs qui ombrageait ses
yeux ? Il annonça d’un ton assez malengroin que le souper allait être
servi.
    — Mon écuyer est-il invité ?
    — Non, Monsieur le Comte.
    — Dans ce cas, j’aimerais que Monsieur de La Barge soit
servi à part

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