Le maréchal Ney
soldats se mirent à vivre sur le dos des habitants. Le troisième corps arriva enfin sur le Niémen, c’est-à-dire à la frontière russe, dans les derniers jours de mai. La Grande Armée se déployait le long du fleuve. Du nord au sud étaient successivement concentrés les corps de Macdonald et du prince Eugène, de Ney, Davout, Oudinot, soutenus par les quatre corps de cavalerie au centre, puis de Jérôme, frère de l’empereur (en réalité de Vandamme) et Poniatowski au sud.
En face, la première armée russe ne comprenait que cent vingt-sept mille hommes aux ordres de Barclay de Tolly ; la seconde, commandée par Bagration, forte de quarante-huit mille combattants, se trouvait encore loin dans le sud. Quant à la troisième, de Tormassov, elle n’alignait que quarante-trois mille hommes et, au demeurant, n’était pas disponible puisqu’elle faisait face aux Autrichiens de Schwarzenberg. Alexandre en effet n’avait pas une confiance absolue en leur prétendue neutralité déguisée.
Napoléon n’arriva au quartier général que le 7 juin et là, attendit. Il espérait encore que cet étalage de forces impressionnerait suffisamment Alexandre pour l’inciter à traiter. Or le tsar n’était pas impressionné du tout, au contraire. Ce ne fut donc que le 24, après un délai de quinze jours donnés aux hommes pour récupérer, que la Grande Armée commença à franchir le Niémen. Plein d’illusions, comme du reste la plupart de ses maréchaux, Napoléon s’attendait à se heurter presque immédiatement à l’armée russe et à l’écraser, ou du moins à la mettre hors de combat. Cette victoire lui aurait permis de poursuivre l’avance jusqu’à Moscou, où il comptait signer la paix, sous la forme d’une promenade militaire. Mais devant lui il ne trouva que le vide.
Le 28 juin, après quatre jours de marche par une chaleur écrasante, les Français arrivèrent devant Vilna. L’armée russe en retraite avait incendié les magasins où de grandes provisions avaient été rassemblées. Jomini, qui n’avait rien sollicité, fut nommé gouverneur de la ville, titre purement honorifique, car il n’était pas question qu’il abandonnât son poste de chef d’état-major. Aussitôt après, la canicule fut remplacée par des pluies sans fin qui ralentirent la progression. Les Russes ne cessaient de reculer, refusant le combat autrement que sous forme d’escarmouches d’avant-postes. Ainsi que l’avaient craint Ney et Jomini, les difficultés de ravitaillement commencèrent à se faire sentir. Pour nourrir ses hommes, Ney, à son habitude, n’hésita pas à mettre la main sur les convois de farine destinés aux autres corps d’armée. Lorsque Berthier lui demanda des explications, pour justifier son geste il allégua d’abord que ses Portugais étaient totalement incapables de vivre sur le pays et qu’ensuite « comme il marchait derrière tout le monde, on ne lui avait rien laissé ».
Nourris de blé et de seigle verts, les chevaux se mirent à crever par centaines, d’autant que le terrain devenu spongieux leur demandait des efforts incessants. Il fallut abandonner en arrière une partie du matériel précieux, faute d’animaux de traction.
Le premier combat effectif n’eut lieu que le 25 juillet, à Ostrowno, alors que l’invasion était commencée depuis un mois. Encore se réduisit-il à un engagement d’arrière-garde, les Russes continuant à se dérober. Le troisième corps ne participa pas à cet affrontement ni à celui du jour suivant. Le 28 juillet, à Vitebsk, impressionné par l’étendue sans fin des paysages qui s’ouvraient devant lui, Napoléon réunit ses maréchaux en conseil de guerre, afin de décider de la conduite à tenir. Tous étaient frappés par l’état de fatigue de l’armée après seulement un mois de campagne et se montraient soucieux du comportement et de l’état des contingents étrangers.
Les avis furent partagés. Pour les uns, poursuivre la marche en avant dans une contrée aussi hostile et démesurée était de la folie. Pour d’autres, et avant tout Murat et Ney, il fallait au contraire continuer à talonner l’armée russe, qui était assez proche, jusqu’à ce qu’elle fut contrainte à la bataille. Pour étayer leurs arguments, ils soutenaient, tout en reconnaissant le surmenage des hommes, qu’un arrêt aurait d’autant moins de sens que l’on touchait peut-être au but. Napoléon sembla sur le moment incapable de choisir
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