Le Maréchal Suchet
prélèvements sur les forces qui lui restaient. Il choisit donc, pour tenter de se maintenir sur ses positions acquises, de pratiquer une défensive aussi mobile que possible, se portant avec son corps de bataille au secours des petites places lorsqu’elles étaient attaquées. Et, dans l’ensemble, cette stratégie à bon marché réussit car ses adversaires anglo-espagnols, malgré leur supériorité, ne faisaient pas preuve de beaucoup de mordant. Il est vrai que les « alliés » s’entendaient mal. À la grande fureur des Espagnols, les Anglais avaient occupé les forts d’Alicante et de Carthagène et en avaient expulsé les garnisons en octobre, mais Suchet ne l’apprit qu’à la fin novembre. Peut-être aussi la défaite de Wellington y était-elle pour quelque chose. Suchet eut le regret de voir Reille, qui l’appuyait en Aragon, partir en octobre pour prendre le commandement de l’armée de Portugal. Il fut donc contraint de remanier son commandement séparant les pouvoirs civils et militaires. Ces derniers furent partagés en deux entre des généraux de valeur mais qui étaient tout de même loin d’égaler Reille.
Comme les guérillas recommençaient à faire parler d’elles, il déclencha plusieurs opérations de police qui eurent surtout pour effet de les repousser vers la Castille. Toutefois les communications devenaient de plus en plus incertaines malgré le renforcement des escortes.
Ce fut sur cette note un peu pessimiste et qui laissait présager des difficultés à venir que s’acheva l’année 1812. Suchet avait compris qu’aux yeux de l’empereur l’Espagne n’était plus qu’un théâtre d’opérations secondaire où il s’agissait avant tout de limiter les dégâts et qu’il lui faudrait désormais faire la guerre avec les moyens qui lui restaient.
IX
ADMINISTRATION
DE PROVINCES
Ce fut une règle à peu près générale que, pendant la durée des guerres de l’Empire en Espagne, peut-être davantage qu’ailleurs, la majorité des généraux, pour ne pas écrire la quasi-unanimité, se désintéressèrent totalement de l’administration civile des provinces qu’ils occupaient. Leurs rapports avec les autorités civiles se réduisaient au minimum. Incompétence, très mauvaise volonté, désir de se cantonner dans un rôle purement militaire… sans doute un peu des trois. Ils préféraient laisser cette tâche à des fonctionnaires civils envoyés de France qui se comportaient souvent comme des requins. Ils n’y portèrent un intérêt que pour ordonner des réquisitions de vivres pour leurs troupes, pour prélever des taxes prenant souvent la forme de contributions de guerre punitives, imposées un peu au hasard, et pour piller les trésors des églises et les œuvres d’art dans un intérêt purement personnel. Certains se rendirent tristement célèbres à ce petit jeu, jusqu’au roi Joseph qui, lorsqu’il quitta définitivement Madrid, n’eut garde d’oublier d’emporter les diamants de la couronne.
Suchet est un exemple à part. On peut même écrire une exception, et ce comportement très particulier permet d’expliquer pourquoi il réussit si bien à se faire accepter par la population civile qui le qualifia d’« homme juste » ( el hombre justo ). Il est vrai que, de par sa formation de chef d’entreprise, il était mieux préparé que ses camarades à exercer des fonctions d’administrateur civil. De plus, scrupuleusement honnête, il répugnait à toute forme d’exaction à l’encontre des populations quelle que fût leur fortune.
En Italie et surtout en Allemagne où il avait longtemps séjourné, il avait eu l’occasion de mettre ses principes en application et ce comportement n’avait pas trop plu à Napoléon. Dès son arrivée en Espagne, il avait pu se rendre compte à quel point les exactions des troupes françaises exaspéraient une population qui, déjà au départ, n’éprouvait aucune sympathie pour ces occupants et aurait plutôt eu tendance à favoriser les forces de la résistance. Mais même son ami Lannes, à qui il s’en était ouvert, n’avait pas compris le raisonnement de Suchet. Ce ne fut vraiment que lorsqu’il fut nommé à la tête du 3 e corps et devint gouverneur de l’Aragon qu’il se trouva à même de mettre en application les méthodes qu’il préconisait. Au départ, sa situation se révéla assez compliquée du fait qu’il dépendait à la fois du roi Joseph et de l’empereur qui lui
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