Le pas d'armes de Bordeaux
ou touchotait, pour les éloigner, les rares cheveux qui titillaient son front.
« Quelle femme ! Était-elle déjà ainsi du temps d’Ogier ? »
Tristan ne se sentait enclin ni à lui dire un mot ni à la côtoyer. Les rues s’étrécissaient souvent. Il demeurait derrière. Ainsi, son regard s’égarait-il à loisir sur des appas dont les contours encourageaient son imagination.
« Belle, mais pas seulement. »
Elle tournait parfois la tête sans préjudicier la ligne harmonieuse d’un corps qui n’avait joui, semblait-il, que de passions violentes et n’en semblait point repu.
S’il savait qu’elle le menait chez elle, il ignorait où se trouvait son logis. Il semblait qu’elle eût tourné quelque peu en rond afin qu’il ne pût la joindre si l’envie absurde, inopinée, l’en prenait. En cette improbable occurrence, il se fierait aux clochers, aux échoppes, aux carrefours les plus et les moins animés. Mais tiendraient-ils l’un et l’autre à se revoir ?
Ils franchirent une double voûte et un jardin apparut, si étroit que les deux chevaux y contenaient à peine. Il sauta promptement à terre et tint le pied de Tancrède qui, penchée, le saisit aux épaules. Il entendit le bruit sourd d’une robe sous laquelle l’air s’était faufilé, dilaté, à la faveur de ce mouvement. Elle devina qu’il pensait à cette irruption de la fraîcheur dans ses dessous, à cette bienfaisance à l’entour de ses cuisses. Son œil cilla, presque noir, sans qu’il pût discerner ce qui l’animait, de l’orgueil ou de l’effronterie.
– Viens, laissons les chevaux…
– Holà ! dit-il, Malaquin me paraît inquiet…
– John est un roncin paisible. Claude va le mener dans sa parclose. Ton cheval t’attendra dans celle d’à côté.
Claude. Homme ou femme ? Un pas léger, lointain, descendait des degrés.
– Viens, répéta Tancrède.
Il la suivit dans un escalier de pierre au lieu que l’autre, invisible, était en bois. Vingt degrés avant d’atteindre le trapan, composé d’une marche plus large, puis le palier. Une porte étroite et massive, taillée en pointes de diamant, luisait dans l’ombre. Derrière, la clarté du soleil et la senteur poignante, charnelle, de l’aubépine les accueillirent. Les murs étaient chaulés, sans la moindre parure. Sur des perches suspendues aux poutres du plafond, des robes colorées, posées l’une sur l’autre, semblaient de grands papegais embrochés. Il y avait aussi sur l’un de ces perchoirs auquel Tristan imprima un mouvement de balance, des bas et des hauts-de-chausses un pourpoint de velours vermeil et un flotternel d’écarlate safran. Dessous brillaient des anneaux assemblés en mailles treslies, si fines qu’il s’agissait d’un ouvrage moresque.
– C’est à vous ?
– Un présent que me fit jadis un bon ami dont l’aïeul avait vécu en Terre Sainte… Hé oui ! Il m’advient de me vêtir en homme… En fait, j’aime cela… J’aurais voulu être un gars, deve nir chevalier, courir des lances et des quintaines… me faire adorer des donzelles…
– Je suis certain qu’elles n’ont pour vous que des louanges. Quelques-unes, même, doivent vous convoiter autant sinon davantage que des hommes.
À quoi bon dissimuler à cette merveille de charnalité qu’il avait aisément soupçonné sa force et ses faiblesses. Il se sentait devenir hardi. Mieux encore entreprenant.
– N’ai-je point raison ?
Tancrède regardait à la fenêtre. Quoi ? Peut-être le ciel. Il semblait qu’elle ne voyait et n’entendait rien. Pas même le chant des oiseaux et les roucoulements d’une colombe. Elle montra soudain une physionomie dont la vie, l’exaltation s’étaient éteintes et Tristan se sentit pris pour un autre. Sur les lèvres décolorées, la caresse du soleil se fit plus ardente.
– Es-tu devin pour me parler ainsi ou tiens-tu ce que tu sais de mon cousin Ogier ?
Éloignés de deux pas, ils n’osaient se rejoindre.
– Viens, dit-elle enfin sur le même ton qu’elle lui eût enjoint de partir.
Elle poussa une autre porte. Tristan vit une chambre dont les seuls ornements étaient un lit des plus simples, deux escabelles, une profusion de candélabres aux chandelles de diverses tailles posés sur des potières 73 de bois à toutes les hauteurs, de façon à répandre une uniforme lumière. Les feuillages d’un orme et d’un sapin verdissaient la verrerie d’une fenêtre à peine plus
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