Le Pré-aux-Clercs
intrus tombant à l’improviste dans son sinistre repaire.
« Oh ! murmura François, bouleversé, quels sont ces gens qui chantent ainsi ?… Et qu’est-ce que ce chant ?… Je n’ai de ma vie entendu rien de plus beau.
Beaurevers avait entendu. Avec un sourire malicieux, il renseigna :
« Ces gens, monsieur, sont ceux-là mêmes que l’on accuse des crimes les plus abominables que l’imagination puisse concevoir. Ce sont ceux que l’on appelle bousbots et parpaillots. Ce sont des protestants, pour les appeler par leur nom. Quant à ce chant que vous trouvez si beau, et qui est, en effet, fort beau, ce sont les psaumes de David, mis en vers français par messire Clément Marot lui-même, et dont un ménestrel inspiré, qui se nomme Guillaume Franc, a composé la musique.
– Des protestants ! » murmura François rêveur.
Beaurevers l’observa un instant, son même sourire malicieux aux lèvres et leur faisant signe de ne pas bouger, il grimpa prestement à cet étage à claire-voie où l’on exposait les criminels. Et voici ce qu’il vit :
D’un côté, du côté de la rue de Buci, Guillaume Pentecôte et sa bande. Ils commençaient à s’agiter. De l’autre côté, venant de la rue du Four, un groupe de vingt à vingt-cinq gentilshommes. Ceux-là mêmes dont la subite arrivée avait obligé Beaurevers à chercher un refuge dans le pilori. Ceux-là mêmes qui venaient d’affirmer leur foi religieuse par cette bravade folle qui avait consisté à entonner un cantique sur le pavé du roi. Ce qui, est-il besoin de le dire ? avait amené aux fenêtres tous les habitants des maisons qui avaient leur façade sur la place où se dressait le pilori. Nous devons même ajouter que quelques-uns de ces habitants n’avaient pas craint de joindre leur voix à celle des chanteurs de la rue.
Ces huguenots, maintenant, s’avançaient vers la bande de Pentecôte d’un air très résolu et qui indiquait nettement qu’ils étaient animés d’intentions peu bienveillantes.
Et à la tête de ce groupe guerrier, Beaurevers reconnut les deux officiers gascons : Liverdac et Montarrac, qui s’étaient chargés d’attirer à eux les gardes qui barraient le Chemin-aux-Clercs. Ces deux officiers marchaient droit au pilori.
Beaurevers ne se méprit pas un instant sur leurs intentions : c’étaient des amis qui amenaient un renfort puissant.
Il se précipita en bas en se disant, tout joyeux :
« Vrai Dieu, ce Montarrac et ce Liverdac sont vraiment deux dignes et braves gentilshommes ! »
Il se rua sur la barricade et se mit à la démolir, au grand ébahissement de François et de Ferrière qui se demandaient s’il ne devenait pas fou.
Tout en s’activant, Beaurevers, qui exultait, s’expliquait :
« Savez-vous par qui sont conduits ces braves huguenots, monsieur le comte ?… Par MM. de Liverdac et de Montarrac… Ces dignes officiers nous amènent du renfort, et quel renfort ! C’est la bataille, monsieur. Mais, cette fois, la bataille à forces égales, au grand air, sous le clair regard du soleil qui n’a pas voulu se coucher avant d’avoir vu cela. Ah ! mortdiable, tudiable, nous allons rire. »
On frappa à la porte. Une voix cria :
« Ouvrez, messieurs, nous sommes des amis !
– Voilà, voilà ! » hurla Beaurevers que la joie transportait.
La porte s’ouvrit. Sur le seuil se tenaient les deux officiers. En voyant Beaurevers, ils s’immobilisèrent, joignant les talons, saluèrent d’un geste large de l’épée. Et tous deux, avec un sourire entendu, mais très simplement :
« Monsieur, dit l’un, nous nous sommes aperçus que nous avions manqué la mission que vous nous aviez fait l’honneur de nous confier, et qui consistait à attirer à nos trousses le plus grand nombre possible de ceux qui vous barraient la route. Nous avons pensé que de ce fait vous alliez vous trouver dans un cruel embarras. Bien qu’il n’y eût pas de notre faute, nous avons voulu tenter l’impossible pour réparer le mal s’il en était temps encore. Nous avons rassemblé ce que nous avons pu de nos coreligionnaires. Et nous voici.
– Disposez de nous comme vous l’entendrez, dit l’autre. Nous sommes prêts à exécuter vos ordres, quels qu’ils soient. »
Beaurevers les considéra une seconde de son œil clair, très sérieux, et se tournant brusquement vers François :
« Eh bien, monsieur, fit-il, qu’en dites-vous ?
– Je dis, s’écria François
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