Le prix de l'hérésie
un moment. »
Godwyn me jeta un regard inquiet, puis se retourna vers le
garçon.
« Vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que je vous
abandonne une minute, docteur Bruno ? Je n’ai pas de souci à me faire,
vous ne volerez pas de livres… »
Son petit rire sonna faux. De la main, je lui fis signe
qu’il pouvait me laisser. J’étais pressé d’examiner le Foxe.
« Vos livres seront en sécurité avec moi, maître
Godwyn.
— Puis-je vous demander de rester ici jusqu’à mon
retour, dans ce cas ? La bibliothèque ne doit pas demeurer ouverte sans
personne pour la garder. »
Je lui assurai que je préférais perdre la vie plutôt que de
trahir sa confiance et, avec un dernier regard angoissé par-dessus son épaule,
il se décida à suivre le garçon.
Je m’installai au bureau de Godwyn et feuilletais le volume
de Foxe lorsque je m’aperçus qu’il avait oublié son trousseau de clés sur la table.
Une idée me vint. Après un coup d’œil à la porte, j’attrapai les clés et en
découvris une plus petite que les autres, peut-être de la taille d’un cadenas.
J’allai dans la réserve et m’agenouillai devant le coffre. À ma grande
surprise, la serrure tourna sans difficulté. À l’intérieur se trouvait une robe
universitaire noire, roulée en boule afin de dissimuler des livres. Je pris en
main le volume placé sur le dessus. Sa reliure en chamois était usée et
paraissait s’effriter sous les doigts, les coins étaient abîmés, mais sa page
de titre me coupa littéralement le souffle et me fit instinctivement vérifier
que j’étais bien seul.
C’était un exemplaire des Decem Rationes d’Edmund
Campion, et la marque de l’imprimeur indiquait qu’il venait de Reims. Il ne
faisait pas le moindre doute que cette défense hardie de la foi catholique par
un jésuite exécuté était interdite en Angleterre, et donc à Oxford. Dans le
coffre, je découvris d’autres textes et pamphlets, tous également condamnés par
les autorités anglaises, nés sous la plume d’auteurs tels que Robert Persons,
William Allen et autres écrivains catholiques. J’en feuilletai certains pendant
un petit moment, le cœur battant, jusqu’à ce que le craquement d’une poutre
dans la bibliothèque me fasse sursauter et me rappelle que Godwyn n’allait pas
tarder à revenir. Je fouillai rapidement jusqu’au fond du coffre mais ne
trouvai pas trace d’un ouvrage en grec. Après avoir remis les livres et la robe
en place, je refermai le coffre à la hâte et rapportai les clés.
Puis je m’assis derrière le bureau et me concentrai sur le
Foxe en tournant les pages à la recherche de l’histoire d’Ignace. La tâche
n’était pas bien difficile et en effet, à la page quarante-six, comme je m’y
attendais, deux lignes avaient été découpées avec minutie, le reste du texte
n’étant pas abîmé. Seule manquait la partie qu’on avait glissée sous ma porte.
L’incision avait été si précise qu’on avait dû employer un couteau de relieur
ou un instrument similaire pour la pratiquer. Ou bien un canif, pensai-je
subitement en apercevant la plume et l’encrier de Godwyn sur le bureau devant
moi. Mais ça ne permettait pas de réduire le champ des recherches : tous
les élèves du collège devaient en posséder un.
Le loquet joua doucement et Godwyn réapparut. Il ferma
derrière lui en secouant la tête.
« Je suis navré de vous avoir abandonné, docteur Bruno.
Le recteur Underhill souhaitait décider quels livres de Roger Mercer
reviendraient à la bibliothèque. Avez-vous trouvé ce que vous vouliez ? me
demanda-t-il aimablement.
— J’ai bien peur que les rats n’en aient après vos
livres, maître Godwyn », dis-je en lui faisant signe de s’approcher et en
tournant le livre pour lui montrer la page quarante-six.
Son regard passa plusieurs fois du livre à moi et son visage
exprima bientôt la plus complète indignation.
« Mais qui ferait une chose pareille ?
s’exclama-t-il. Comment le saviez-vous ?
— Quelqu’un a glissé les lignes qui manquent sous ma
porte la nuit dernière.
— Mais… pourquoi ? »
Godwyn me fixait toujours avec l’air de penser que j’avais
perdu la tête.
« Regardez de quel passage il s’agit », lui
dis-je.
Il leva le livre contre son nez et lut quelques instants.
Lorsque ses yeux revinrent se poser sur moi, il paraissait dérouté.
« Ignace… murmura-t-il. “Je suis le froment de Dieu”…
J’ai oublié
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