Le prix de l'hérésie

les mots exacts mais c’est le passage manquant, n’est-ce pas ?
Quelque chose à propos de la dent des bêtes sauvages. »
    J’opinai sombrement. Il regarda de nouveau le livre et
expira longuement, prenant le temps de réfléchir à ce qu’il allait dire.
    « Ah ! Vous croyez que c’est une référence à la
mort de ce pauvre Roger ?
    — Je pense que c’est la conclusion à laquelle on veut
me pousser, oui. »
    Il ferma le livre et son front se creusa de rides profondes.
    « Pourquoi vous, docteur Bruno, si je peux me
permettre ? »
    J’hésitai à révéler tout ce que je savais.
    « J’ai été parmi les premiers à arriver au jardin hier
matin, quand le docteur Mercer a été attaqué par ce chien, dis-je en baissant
la voix à la limite de l’audible. Après avoir examiné la scène, j’ai suggéré
que sa mort n’était peut-être pas accidentelle. »
    Les yeux de Godwyn s’arrondirent tellement que ses sourcils
menacèrent de disparaître.
    « Mais… Ils ont dit que le portail était ouvert… Le
chien errant a fait irruption…
    — Mon hypothèse n’était pas partagée par vos collègues.
Pourtant, il semble que quelqu’un veuille renforcer ma conviction que sa mort
était préméditée. »
    Godwyn scruta le livre qu’il tenait entre les mains. Il
n’aurait pas eu l’air plus incrédule si l’ouvrage s’était mis à parler.
    « Vous pensez que quelqu’un tente de vous convaincre
que Roger a été martyrisé  ? demanda-t-il finalement.
    — Je ne sais pas, répondis-je. On veut me faire
remarquer la similarité des deux morts, mais pourquoi faudrait-il considérer le
docteur Mercer comme un martyr ? »
    La question resta en suspens un moment, puis il secoua la
tête avec énergie.
    « Je n’arrive pas à réfléchir correctement.
    — Qui a accès aux livres de la réserve ? lui
demandai-je.
    — Eh bien, tous les professeurs ont la clé de la bibliothèque,
mais ils ne sont pas censés emprunter les livres sans m’en faire part et signer
le registre. Les étudiants ne peuvent entrer dans la bibliothèque qu’en ma
présence, afin que je puisse les garder à l’œil, mais… Eh bien, disons que je
ne suis pas toujours aussi scrupuleux que je le devrais sur ce point. »
Une ombre de culpabilité passa fugacement sur son visage. « Si je dois
m’absenter un court instant et qu’il y ait quelques étudiants plongés en pleine
étude, je ne les force pas à sortir. Ce n’est pas comme s’ils pouvaient
facilement voler un livre. En fait, je leur fais plutôt confiance pour
surveiller la bibliothèque.
    — On dirait pourtant que quelqu’un en a abusé. »
    Le visage de Godwyn se ferma. Il se représentait maintenant
la gravité de l’infraction commise contre la propriété du collège.
    « Mais j’ai été présent à la bibliothèque jusqu’à cinq
heures moins le quart hier après-midi. Ensuite, j’ai fermé à clé et je suis
parti à la disputation, en même temps que les étudiants qui se trouvaient là.
    — Et vous n’avez pas laissé la bibliothèque sans
surveillance auparavant ?
    — Avec toutes ces questions, docteur Bruno, on finirait
par croire que vous avez été magistrat, remarqua-t-il avec un sourire méfiant.
Il se peut que je sois allé me soulager à un moment, je suis incapable de m’en
souvenir, mais mon absence n’aurait pas duré assez longtemps pour que quelqu’un
puisse découper ces deux lignes de façon aussi impeccable. Ç’a été exécuté avec
soin, celui qui a fait ça n’était pas pressé, il ne risquait pas d’être surpris
à tout moment.
    — C’est exact, admis-je. Et personne n’aurait pu entrer
pendant que vous étiez à la disputation ?
    — Eh bien, comme je vous l’ai dit, les professeurs ont
la clé, mais ils étaient tous là-bas. »
    Tous sauf James Coverdale, pensai-je. Cependant, il faisait
plutôt partie de ceux qui voulaient me voir abandonner la théorie du meurtre.
    « Personne d’autre n’a la clé ?
    — Seulement le recteur. Oh, et bien sûr… »
    Il hésita un instant et son attitude devint fuyante.
    « Qui ? insistai-je.
    — M lle  Sophia se sert parfois de la clé
de son père, lâcha-t-il en se mordant le poing. Elle s’imagine qu’elle peut
étudier aussi bien que n’importe quel élève et il l’y encourage. Je pense que
c’est lié à la perte de son fils. Bien sûr, c’est à lui d’en décider, mais sauf
votre respect, je ne laisserais pas une