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Le prix de l'hérésie

Le prix de l'hérésie

Titel: Le prix de l'hérésie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: S.J. Parris
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pièce jusqu’à la table de l’homme sans oreilles, à qui elle murmura quelque
chose. Celui-ci pencha la tête et acquiesça tranquillement sans détacher ses
yeux de moi.
    Humphrey revint aussitôt avec un bol rempli d’un gruau tiède
et compact qu’il renversa à demi en le posant, ainsi qu’un pot de bière en bois
couvert d’une pellicule de graisse, après quoi il resta debout près de la table
à me regarder avec un grand sourire.
    « Merci », finis-je par dire.
    Comme il ne partait toujours pas, je me demandai si je
n’étais pas censé lui donner un pourboire.
    « Vous venez d’Italie ? me demanda-t-il d’une voix
de crécelle en s’accroupissant près de moi.
    — C’est exact », convins-je en remuant le contenu
du bol avec un morceau de pain.
    On aurait dit que tout avait déjà durci.
    « Dites quelque chose en italien, alors », me fit
Humphrey.
    Il me mettait au défi de l’impressionner comme un enfant
face à un magicien. Je réfléchis un instant.
    «  Non darei questo cibo nemmeno al mio cane  »,
déclarai-je en lui souriant.
    Il était aussi émerveillé que si j’eusse fait apparaître une
pièce et un grand sourire rayonna sur son visage.
    « Qu’est-ce que ça veut dire ?
    — Oh… C’est difficile à traduire directement. C’était
un compliment pour cette nourriture délicieuse. »
    Il s’approcha tout près de moi et je sentis son souffle me
chatouiller l’oreille. Son haleine empestait l’oignon.
    « Je ne connais pas l’italien, murmura-t-il, mais le
latin.
    — C’est très bien », dis-je gentiment.
    Je m’attendais à du charabia sans queue ni tête, car il me
semblait impossible qu’un commis simple d’esprit eût vraiment appris le latin.
    «  Ora pro nobis  », me susurra-t-il au creux
de l’oreille, puis il recula pour me regarder, fier de lui et quêtant mon
admiration.
    Je m’efforçai de ne rien laisser paraître de ma surprise.
Toutes les questions qui se bousculaient dans mon esprit commençaient peu à peu
à se démêler.
    « Félicitations, Humphrey. Tu connais d’autres
phrases ? »
    Radieux, il se préparait à poursuivre mais la voix stridente
de la tenancière l’en dissuada.
    « Humphrey Pritchard ! Je t’ai pas dit de le
laisser tranquille ? T’as pas du travail qui t’attend ? Il a aucune
envie d’entendre tes idioties. Laisse-le profiter de son repas en paix. »
    Tout en prononçant ces mots d’un optimisme outrancier, elle
arriva jusqu’à Humphrey, qu’elle prit doucement par le cou en le dirigeant vers
la cuisine. Bien qu’il fît deux fois sa taille, la culpabilité envahit son
visage et il se laissa faire, son grand corps misérablement plié en deux.
    La tenancière s’essuya les mains sur son tablier et me fit
un sourire forcé.
    « Il ne disait rien, euh… de déplacé,
j’espère ? »
    Je perçus une pointe d’inquiétude dans sa voix.
    « Pas du tout, dis-je. Il me demandait seulement si la
nourriture me convenait. »
    Elle plissa le front.
    « Et vous convient-elle ?
    — C’est parfait, merci. »
    Elle me regarda un moment avec l’air de vouloir ajouter
quelque chose puis, après un bref salut, disparut dans la cuisine d’où m’arriva
bientôt le bruit d’une dispute. Elle accablait le malheureux Humphrey, qui
protestait en retour.
    Le repas fut une affaire détestable. Je m’obligeai à faire
passer autant de gruau que possible entre mes dents serrées, conscient tout du
long d’être observé par l’homme sans oreilles et ses comparses. J’en vins à
espérer qu’il se lèverait et viendrait me trouver, voire qu’il m’expliquerait
pourquoi il me dévisageait avec autant d’intérêt, mais il resta sur son banc,
se contentant de temps à autre de se pencher par-dessus la table pour glisser
un mot à ses compagnons.
    Je ne quittais pas mon assiette des yeux. Mon esprit
rassemblait des indices épars. Ora pro nobis. Priez pour nous. Les mots
à la fin de l’almanach de Roger Mercer. Une prière d’intercession, un fragment
de l’Ave Maria ou des litanies des saints. Où donc un garçon sans instruction
comme Humphrey aurait-il pu apprendre du latin en dehors des réponses de la
messe ? De deux choses l’une, ou il avait entendu ces prières, ou bien il
avait lui-même pris part à des messes célébrées selon la liturgie catholique.
Était-ce en lien avec les gens qu’il fréquentait à la taverne ? Cela
aurait expliqué pourquoi sa patronne cherchait à

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