Le roi d'août
arrière, attentif.
Un grand silence se fit dans la foule au moment où les époux se retrouvèrent debout face à face. Les mendiants et les éclopés, les gens du commun et les hommes de Dieu, tous attendaient. Tous retenaient leur souffle.
— Mais que faites-vous donc là, ma mie ? interrogea Philippe, interloqué. Dans quel état je vous découvre ! Est-ce donc la mort que vous souhaitez ?
Isabelle, de fait, semblait sur le point de s'effondrer. En chemise, les cheveux couverts d'un voile que maintenait un simple chapel de bois, elle frissonnait atrocement dans la froideur d'un mois de mars peu clément ; ses pieds nus, qui ne semblaient plus pouvoir la porter très longtemps, étaient noirs de la poussière des rues, rouges de son sang – et la détresse la plus pure se lisait sur son visage inondé de larmes.
— La mort ? répondit-elle en reniflant bruyamment. Certes oui, sire, je la souhaite, puisque je n'ai pas su vous plaire et que vous allez me renvoyer.
— Pitié pour la reine ! s'exclama une voix aiguë dans la foule, cri qui fut repris par plusieurs poitrines avant que ne retombât le silence.
Philippe apprendrait plus tard ce qui s'était produit, en faisant interroger divers témoins, dont les prêtres qui se trouvaient parmi les suppliants. Isabelle, à l'aube, s'était glissée hors du palais dans son humble tenue de pénitente et était allée prier en chacune des églises de la ville, y compris la cathédrale inachevée. Là, se lamentant, se repentant de ses péchés, appelant la bénédiction divine non pas sur elle mais sur son mari, elle avait attiré dans son sillage les braves gens émus par sa douleur et par le sort qui l'attendait. Bien qu'elle ne les eût en rien encouragés, contrairement aux quelques agents des Dreux payés pour ce faire, ils l'avaient escortée, de plus en plus nombreux, en priant à tue-tête que Dieu confondît ses ennemis.
Sur le moment, à défaut des détails, le roi devina l'essentiel et eut un peu honte de ses actes – sentiment chez lui très inhabituel. Une telle tendresse l'envahit soudain pour son épouse que, sans un effort de volonté, il l'eût attirée sur-le-champ dans ses bras.
— Madame, déclara-t-il, la gorge serrée, j'affirme devant tous que si vous me quittez, ce n'est pas en raison de quelque méfait mais seulement parce que je ne puis avoir descendance de vous.
— Priez, sire ! l'exhorta un prêtre agenouillé à quelque distance. Dieu qui donne la fécondité vous exaucera.
On approuva. On acclama. Plusieurs prières vibrantes furent lancées vers le ciel, implorant le Créateur d'accorder un enfant au couple royal.
— S'il est un baron en mon royaume que vous désirez avoir pour seigneur, reprit Philippe, nommez-le et vous l'aurez, quoi qu'il m'en coûte.
Isabelle secoua violemment la tête. Ses yeux, sources vives, créaient sur ses joues des ruisseaux aux berges poussiéreuses. Elle ouvrit la bouche pour répondre mais sa voix se brisa. Ses lèvres tremblaient de froid, de chagrin. Reniflant, s'essuyant le nez de sa manche en un geste enfantin, elle parvint enfin à déclarer d'une voix à peine audible :
— À Dieu ne plaise, sire, qu'homme mortel entre dans le lit où vous avez dormi.
— Pitié pour la reine ! hurla un mendiant. Qu'on nous garde notre reine !
Philippe, le cœur battant, prit une profonde inspiration. Il pouvait ignorer les supplications des humbles : Senlis n'était pas Paris ; le mécontentement s'apaiserait. Pourtant, il lui semblait qu'agir ainsi eût été de mauvaise politique. Si les habitants de cette ville étaient attachés à leur reine, la plupart des Français l'étaient sans doute aussi. Ils ne se révolteraient pas pour un motif aussi futile, mais ce serait une insatisfaction qui pèserait peut-être lourd dans la balance si survenaient des mécontentements plus profonds. On ne gouverne bien que ceux qui se laissent gouverner.
En outre, le jeune souverain, bouleversé, éprouvait lui-même l'envie, presque le besoin, de faire naître un sourire sur les lèvres de sa femme qui n'avait pas mérité pareille humiliation. Était-il concevable, cependant, de réduire à néant d'un mot tous les efforts accomplis pour abaisser la superbe de Baudouin ?
Ce dernier emporta la décision lorsqu'il s'agenouilla à son tour aux pieds de son gendre.
— Pitié pour ma fille, sire ! s'exclama-t-il. (Un peu plus bas, il ajouta :) Les soldats du Hainaut demeureront
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