Le souffle du jasmin
la suite, Churchill en personne exigea qu'elle fût aux côtés du
capitaine T. E. Lawrence au bureau arabe du Caire, afin de le seconder en lui
indiquant les emplacements et l’état d'esprit des tribus arabes susceptibles de s 'allier aux Britanniques contre l'Empire ottoman. Ces
informations, ô combien précieuses, servirent à Lawrence dans ses négociations
avec les Arabes, et tout particulièrement avec le chérif de La Mecque.
Nul doute
qu'elle avait pris goût et hautement apprécié l 'existence
qu'on lui avait offerte : voyager, monter à cheval ou à dos de
chameau, parcourir les immensités désertiques, vivre au milieu des Bédouins,
quel autre bonheur eût été plus parfait ? Aujourd'hui, ce qu'on attendait
d'elle lui paraissait moins excitant et affreusement plus compliqué :
tracer les frontières d 'un
nouveau pays qui porterait le nom d'« Irak ». Elle s 'était
déjà fait son idée de cet État. Il serait à majorité chiite au sud, et à
minorité sunnite et kurde au centre et au nord. Il était hors
de question d'accorder un État séparé aux Kurdes si l 'on
voulait conserver le contrôle des réserves pétrolières qui sommeillaient dans
leurs sous-sols. Tant pis pour les Kurdes ; ils attendraient leur tour.
D'ailleurs, ce serait un moindre mal.
Gertrude
avait encore en mémoire la note dans laquelle Churchill recommandait
l'utilisation des gaz moutarde sur ces tribus. « Je ne comprends pas cette
délicatesse exagérée à propos de l'utilisation du gaz, écrivait le secrétaire
d'État aux Colonies. Nous avons définitivement arrêté la position, à la
Conférence de la paix, argumentant en faveur du maintien de cette arme comme un
instrument permanent de guerre. C'est pure affectation que de lacérer un homme
avec les fragments pernicieux d'une explosion d'obus et d'éprouver des
velléités à lui faire pleurer les yeux par le moyen de gaz lacrymogène. Je suis
fortement en faveur de l'usage de gaz empoisonné contre des
tribus non civilisées (sic). L 'effet
moral devrait être tel que la perte
de vie humaine devrait être réduite au mini mum. D'ailleurs,
il n'est pas nécessaire d'utiliser seulement les gaz les plus
meurtriers ; il en est qui répandraient une terreur vigoureuse, et
cependant ne laisseraient pas de séquelles permanentes sur les personnes
atteintes [61] »
Un point
de vue comme un autre, que Gertrude ne partageait pas. Sa seule certitude,
c'est qu'il fallait désigner les sunnites pour gouverner le pays. Sa
connaissance de l'islam lui avait enseigné que les chiites demeuraient de
sombres fanatiques religieux, pervers et incontrôlables. Dans le cas contraire,
on aurait un pays théocratique et infiniment dangereux.
On frappa
à sa porte.
Elle
invita l'inconnu à entrer.
Un soldat
lui remit un pli en claquant des talons.
– Urgent, fut son seul commentaire.
À son
Excellence, le résident royal permanent à Bagdad,
Constatant
la poursuite des raids meurtriers que commettent vos avions en maints endroits
de notre pays, anticipant la réponse à la lettre que nous vous avons adressée, nous considérons que la
publication de celle-ci dans El-Iraq , en ces circonstances, appelait une réponse de notre part.
Il est étrange de voir que les événements aient déjà parlé sans même attendre
notre réponse. Vous avez remplacé vos promesses par la menace, l'espérance par
la tromperie. Utilisant la force, vous avez exilé, tué, emprisonné des
patriotes et poussé le peuple à se soulever.
Mon
prédécesseur, le défunt ayatollah Shirâzi, paix à son âme, a souvent réitéré
son appel aux Irakiens, afin qu'ils respectent l'ordre public et qu'ils
revendiquent leurs droits légitimes de façon pacifique, appel que j'ai repris à
mon compte et que vous auriez dû apprécier. Or, par votre attitude, vous avez
blessé non seulement nos sentiments mais ceux de tous les musulmans.
Vous avez
soumis le pays à la destruction, vous avez enfreint toutes les règles et vous
avez violé ses lois. Votre justice se traduit par l'assassinat et l'exécution
des innocents sans procès. Concernant votre tolérance religieuse, elle consiste
à faire donner les avions et les blindés contre nos femmes et nos enfants, ou à
proclamer l'état d'exception contre ceux qui récitent des prières pour le
Prophète.
Vous êtes
responsables du désastre actuel et nous ne voyons pas d'autre solution pour
nous, Irakiens, que de conquérir notre entière
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