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Le Temple Noir

Le Temple Noir

Titel: Le Temple Noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Giacometti
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traversant les siècles et défiant la méfiance des hommes. Juste à côté de la synagogue, une maison de trois étages semblait avoir poussé comme un arbre sauvage et maladif. Le toit branlant au vent, la façade crevassée, les fenêtres aux volets rongés ; les rares étrangers, qui traversaient le quartier, se demandaient toujours par quel miracle cette antique demeure tenait debout. Les habitants, eux, ne se posaient jamais la question. Dans cette maison vivait Maïmonès et la main de Dieu le protégeait.
    Assis à sa table de travail, le rabbin relisait le récit de la Création. D’une voix usée, il prononça les mots sacrés, les mêmes dont le Très Haut s’était servi pour façonner le monde. Un instant, il se tut. Les dernières syllabes résonnaient encore dans son esprit. Seuls les ignorants croyaient que la parole de Dieu n’était que préceptes et commandements. Ils suivaient aveuglément la moindre sentence, répétaient sans comprendre tous les rites, perpétuaient la nuit, sans s’ouvrir à la lumière. Maïmonès caressa sa barbe. Et pourtant, derrière chaque psaume, chaque phrase, se dissimulait un sens caché : la véritable parole du Seigneur. Maïmonès se pencha sur le Livre et reprit sa lecture.
    Un bruit saccadé le chassa de sa méditation. On frappait à la porte avec insistance. À peine vêtu d’un manteau usé, il descendit l’escalier et ôta la barre de bois qui masquait le judas grillagé. Il cligna des yeux, la ruelle était sombre, impossible de reconnaître qui que ce soit. Une voix jaillit.
    — Rabbi, je demande asile. Les djinns nous massacrent.
    Maïmonès connaissait cette inflexion mélodieuse, mais n’arrivait pas à mettre un visage dessus. Il hésitait, les voleurs pouvaient se montrer aussi rusés qu’avides, mais ils ne perdaient pas leur temps dans les quartiers pauvres.
    — Rabbi, fais-moi entrer.
    Le visage inquiet, Maïmonès jeta un œil vers l’étage. Les serviteurs dormaient. Ne devait-il pas d’abord se préoccuper des siens ? Dehors, une lumière vacillante montait des bas quartiers.
    — Ce n’est pourtant pas le jour, s’étonna Maïmonès.
    — Rabbi, les Francs viennent de mettre le feu à la ville. Laisse-moi entrer.
    — Qui es-tu ? murmura le rabbin.
    — Un habitant guidé par le doigt de Dieu.
    Maïmonès s’interrogea. Trois jours auparavant, il avait envoyé sa fille unique, Bina, dans le port de Caïpha. Il craignait plus pour elle que pour sa propre vie. Et puis, elle était sa mémoire. C’est elle qui l’assistait et le conseillait dans ses recherches. S’il mourait, elle pourrait continuer son œuvre. Le rabbin sortit une clé de bronze et fit jouer la serrure. La porte s’ouvrit avec fracas, il fut projeté sur le sol. Une ombre s’interposa entre la lueur des torches de l’entrée et le dallage. Fasciné, Maïmonès contemplait la progression de cette forme noire qui envahissait le sol. Quand il leva les yeux, son visage se figea. Un mot, un seul, tomba de sa bouche subitement asséchée :
    — Khatani.

6
    Paris
De nos jours
    Antoine émergea lentement de son sommeil. Il tablait sur un bon 8 heures et s’aperçut de son erreur en tournant la tête vers le radio-réveil. 9 heures passées.
    Gabrielle dormait paisiblement ; il déposa un baiser sur son bras, remonta la couette sur ses épaules et sortit du lit en prenant soin de slalomer entre les vêtements épars. Ils étaient arrivés la veille de Miami et, un peu après minuit, une voiture officielle les avait emmenés directement de Roissy à son appartement. Le chauffeur lui avait transmis un message impératif et surprenant. C’était avec le frère obèse que Marcas avait rendez-vous à 9 h 30, quai de la Conférence, en bord de Seine.
    La porte poussée avec précaution, il passa dans la salle de bains en faisant attention à ne pas faire craquer les lattes de parquet irrégulières. Il n’avait pas le temps de prendre une douche, il garderait sur sa peau la sueur de Gabrielle mêlée à son parfum. Jardin d’été après la mousson . Un parfum de vacances… Et dire que la veille il était au soleil en Floride. Il n’avait aucune idée pourquoi le DGPN l’avait appelé en personne. Mais si le frère obèse était de la partie, ça sentait déjà le coup tordu.
    Il tâta son nez endolori, se rasa à toute vitesse puis enfila une chemise et un pantalon pas trop froissé. Il faillit chuter en enfilant ses chaussettes et se glissa dans

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