Le temps des adieux
longtemps. La vestale en chef devait avoir ses entrées au palais, mais cette vieille ne portait pas le costume adéquat. Quand nous arrivâmes, ils bavardaient d’une façon tout à fait détendue, mais en me voyant apparaître, Titus fit mine de se lever. La femme tendit la main pour l’en empêcher. Il lui déposa alors un baiser sur la joue et ce fut elle qui prit congé. Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : il s’agissait de Cænis, la maîtresse de l’empereur. Une affranchie. Pour autant que je le sache, elle ne se mêlait pas de politique. Pourtant, une femme que Vespasien avait chérie pendant une quarantaine d’années et que son fils traitait avec un tel respect possédait nécessairement une forte influence.
Quand elle passa devant moi, je m’écartai de son chemin. Son regard intelligent et sa démarche digne me rappelèrent Helena.
— Marcus Didius !
Titus César m’accueillit comme un ami personnel. Il m’avait surpris en train d’observer sa visiteuse et ajouta :
— J’étais justement en train de raconter ton histoire à Cænis. Elle m’a écouté avec intérêt.
J’étais assez fier d’apprendre que la maîtresse de l’empereur trouvait intéressants certains détails de ma vie – pas au point tout de même de demander que je lui sois présenté.
— Tu vas bien ! s’enquit encore Titus, comme si ma santé avait une importance majeure en regard des événements du monde.
Je répondis que j’allais bien, comme il se doit.
— Et comment se porte la splendide fille de l’excellent Camillus ?
Par le passé, le fils de Vespasien avait porté le même regard que moi sur Helena. C’était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’avais accepté de passer beaucoup de temps à l’étranger, au cas où il aurait jugé sa fameuse aventure avec la reine de Judée sans avenir et décidé de chercher une remplaçante à Rome. Helena aurait su tenir son rang à la cour de Vespasien, mais que serais-je alors devenu ? La reine Bérénice aurait-elle jeté son dévolu sur moi ? J’avais des doutes, mais j’avais un nouvel argument :
— Helena Justina est en pleine forme et elle va bientôt me donner un héritier.
S’il fut surpris – désagréablement surpris –, il n’en laissa rien paraître.
— Je vous félicite tous les deux !
Titus avait le don de faire croire qu’il pensait ce qu’il disait.
— Merci, César, répliquai-je, un tantinet assombri.
Le silence s’installa entre nous pendant quelques instants. Titus laissa son regard se perdre vers une topiaire qu’on distinguait à peine. Je résistai à l’envie de me montrer caustique. Ce n’était pas conseillé quand on s’adressait au fils aîné de l’empereur. Il était de notoriété publique que celui-ci était d’un tempérament agréable et conciliant ; il n’empêche qu’il avait le pouvoir de m’envoyer chez Hadès par les voies les plus rapides s’il lui en prenait l’envie.
— Ce que tu viens de me confier, Falco, semble annoncer une période difficile pour vous. Je peux t’aider ?
— Je ne crois pas, César. Il est vrai qu’un jour j’ai promis aux parents d’Helena de m’élever dans la société afin de l’épouser, mais ton frère m’a dit que je n’avais pas les qualités nécessaires pour appartenir à l’ordre équestre.
— C’est ce que t’a dit Domitien ?
Il ne paraissait pas au courant.
— Et je doute que tu aies envie de contredire ton frère.
— Ça me serait en effet difficile, admit Titus.
Je le sentais néanmoins exaspéré que son frère se soit montré hostile envers moi. En public, il se montrait toujours extrêmement loyal envers Domitien, mais j’étais certain que son opinion personnelle était sensiblement différente. J’aurais donné cher pour la connaître. Mais il changea de sujet :
— Alors, j’ai appris que tu avais passé de sales moments dernièrement. Tu t’es rendu en mission officielle chez les Nabatéens et tu as rencontré de sérieuses difficultés ?
— Je n’ai pas eu de difficultés avec les Nabatéens eux-mêmes, déclarai-je. J’en ai eu par la faute du requin qui m’a expédié là-bas en espérant se débarrasser de moi.
— Anacrites ! J’aimerais bien entendre ta version des faits, un jour prochain, assura Titus d’une voix amicale.
Je commençai immédiatement à m’inquiéter en imaginant la version d’Anacrites. Je ne fis cependant aucun commentaire.
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